Parcourir un quotidien le lendemain d'une défaite, c’est prendre un risque... Toutefois, même prévenu, ça peut surprendre. Surtout quand les duettistes Bérard et De Macedo ont pour mission de relater, en toute objectivité, les entretiens d’après match pour le Parisien.Le titre seul aurait pu suffir à mettre la puce à l’oreille. La sagesse poussait à s’en tenir là, et refermer le journal. Histoire de s’éviter quelques désordres intestinaux : quand dès la première ligne on part sur de mauvaises bases, ça augure toujours du pire. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que le reste du texte était du même tonneau que son intitulé... Mais maintenant que le mal est fait, autant analyser la chose : voici un extrait de l’article, afin que vous jugiez sur pièces.
Laurent Blanc avait tout prévu
JUSQU'AU BOUT, Laurent Blanc aura tout maîtrisé hier soir au Parc. En arrivant en salle de presse, il soulève lui-même une chaise qui traîne devant lui pour la poser sur l'estrade et livrer, dans un sourire, la recette d'un succès presque trop facile. « C'est simple, on a mieux joué que le PSG, estime-t-il.
D'habitude, c'est difficile de maîtriser un match de la première à la dernière minute. Là, l'équipe a maîtrisé un maximum de temps. Nous avons fait exactement ce que nous étions venus faire. » Politesse et élégance oblige, il ne dira pas que le PSG, par sa naïveté, lui a facilité la tâche. « Si une équipe nous laisse la possibilité de jouer, nous la prenons car on aime ça », souligne-t-il simplement, l'oeil brillant de satisfaction. Et il livre quelques éléments qui seront probablement décortiqués avec intérêt, dès ce matin, par le staff parisien. « On a vu qu'il y avait des espaces dans leur milieu, avoue-t-il. Et je savais que mes joueurs étaient capables de remporter cette fameuse bataille du milieu qui fait toute la différence. »
(...)
Christophe Bérard (avec Sylvie De Macedo)
Alors ?
Alors !?! « Laurent Blanc avait tout prévu ». C’est pas de l’accroche ça, hein ? Sérieux... Le ton est pas donné dès le départ ? Vous le sentez là, l’article qui va rester sobre, sans verser dans le panégyrique béat... Enfin du vrai travail de reporter, qui évite le piège du sensationnalisme et qui étaye tout ce qu’il avance. La preuve ? On la tient d’entrée. Attention les yeux !
Laurent Blanc avait tout prévu (roulement de tambours...), même de s’assoire sur une chaise !
Wouah...
La maîtrise du déplacement de tabouret (avec appel - contre appel dans le dos du défenseur)Attention, il faut se replacer dans le contexte, et imaginer nos deux journalistes du Parisien, Christophe Bérard et Sylvie de Macedo, en train de commettre leur article sur les entretiens d’après match. Excités après cette défaite qu’ils n’osent espérer annonciatrice d’une crise susceptible de leur faire vendre des monceaux de papier, ils cherchent une introduction choc. Une image qui éclairerait leurs propos.
Et là, c’est le drame...
- Hé, j’ai une idée : et si on parlait de quand Laurent Blanc il a déplacé une chaise qui était mal rangée ?
- Oui, super concept : ça illustrerait combien au PSG tout est en désordre, alors que Blanc, lui, il est super carré, ordonné.
- Mais trop ! On sent la rigueur du
champion du monde (TM) dans cette anecdote...
- Attends... Plus que la rigueur : derrière ce déplacement de chaise, il y a... de la maîtrise !
- Oh, c’est bien ça, « maîtrise ». Je le mets dans l’article !
Avouez que ça fait un peu peur... Parfois, il ne vaut mieux pas se demander ce que les journalistes espèrent au juste quand ils nous balancent leurs histoires. En quoi une pauvre chaise empoignée par un coach-touillette-à-café peut-elle présenter la moindre importance à leurs yeux, même anecdotique ? Ils espèrent réellement nous amener à penser que si Paul Le Guen avait pris le temps de ranger tous les strapontins, tabourets et autres sofas du Parc avant le match, ça aurait changé quoi que ce soit ?
Non, bien sûr que non. Sauf que voilà, on est dimanche soir, le journal va bientôt boucler et il reste dix lignes à pondre, plus une accroche à trouver... quitte à prendre les lecteurs pour des demeurés. Une question demeure toutefois : qui se laisse prendre ? Qui peut croire que Cri-cri et sa Sylvounette pensent vraiment que c’est faire montre de maîtrise que de penser à déplacer sa chaise avant de s’assoire dessus ?
Même Laurent Blanc, qui a pourtant fourni la preuve éclatante de la faiblesse de son taux neural lors des matches qu’il a pu commenter à la télé n’est pas assez débile pour aller poser ses fesses de champion du monde directement sur le sol avant de répondre à une interview. Qui peut voir l’illustration d’une quelconque maîtrise dans une anecdote aussi stupide ?
Sauf que le lundi matin, on retrouve notre petit couple qui s’extasie sur le lever-déplacer de tabouret comme des jeunes parents devant le premier étron que le petit viendrait de livrer dans son pot. Pathétique ou terrifiant ?
L'Histoire est écrite par les vainqueurs...Et l'article ne fait que commencer. Les journalistes relayent ensuite sans une critique le superbe discours du Bordelais à la chemise savamment sortie du jean : « D'habitude, c'est difficile de maîtriser un match de la première à la dernière minute. Là, l'équipe a maîtrisé un maximum de temps. Nous avons fait exactement ce que nous étions venus faire. »
Admirable maîtrise, vraiment, que celle d’une équipe qui doit compter sur sa transversale pour la sauver en fin de match. Le mot est bien choisi, on comprend que les journalistes relatent sans commenter. Et quand Blanc affirme que les Girondins ont fait exactement ce pour quoi ils étaient venus ? Il veut sans doute expliquer qu’ils étaient venus laisser Digard faire un enchaînement petit pont - grand pont sur Chalmé avant de centrer et compter sur la chance et l’incroyable maladresse d’un Luyindula pour manquer un but que Pauleta aurait marqué même les deux jambes dans le plâtre (avec la béquille, ça rentrait). L'Histoire est écrite par les vainqueurs, certes, mais tout de même...
...surtout quand on les laisse faire !Que Bordeaux ait gagné, tout Paris est bien forcé de le reconnaître. Que Bordeaux ait su exploiter deux maladresses incroyables de la défense du PSG, là encore personne ne peut le nier. Mais venir se targuer d’avoir maîtrisé de bout en bout un match où le banc visiteur a passé l'essentiel de la première mi-temps à brûler des poupées vaudou en espérant que Luyindula n’apprenne pas à cadrer une seule des offrandes d’un Rothen qui faisait ce qu’il voulait sur son côté, c’est trop gros pour passer sans une bonne dose de lubrifiant. Blanc est soit amnésique, soit aussi faussement modeste qu’il en a l’air.
Reste que l’on peut se demander comment notre duo comique du Parisien a pu résister à lui balancer en travers du visage un de ces sièges si mal rangés de la salle de presse, en lui intimant l’ordre d’arrêter de prendre les gens pour des truffes.
Mais non, les journalistes préfèrent évoquer l’oeil brillant du coach (sic). Louons toutefois leurs efforts, puisqu’ils ont su se retenir avant de nous parler des reflets soyeux de son pelage, ou du taux d’humidité de sa truffe frétillante avant de vanter les mérites des croquettes qu’il s’envoie au déjeuner. Comment ont-ils fait ? Sans doute parce qu’ils gardaient le meilleur pour la fin, avec la « fameuse bataille du milieu »...
Après le « beau jeu à la nantaise », la « crise d’octobre » et le petit nouveau, le « syndrome du Parc », on tient enfin l’ultime explication certifiée conforme : l’argument creux qui est censé mettre un terme définitif à toute discussion quand un spécialiste veut expliquer un résultat : « la fameuse bataille du milieu »...
Laurent Blanc, plus fort que Elisabeth TeissierSauf que là encore, plutôt que de rire au nez du coach osant sortir des clichés pareils, lui rappelant combien le milieu bordelais était loin de se montrer souverain en première mi-temps, Bérard et De Macedo en rajoutent une couche : Blanc avait tout prévu. Don’t acte.
Force est donc de s’incliner devant les talents divinatoires d’un coach qui a anticipé la passe décisive de Camara à Jussiê, ou le fait que notre défense couvre un attaquant de dix mètres sur le premier but. Blanc devrait monnayer ses talents d’haruspice parce que de telles erreurs n’arrivent pas si souvent. Il est très doué. D’autant plus doué que sur attaque placée, même lorsque les Rouge et Bleu ne défendaient plus qu’à trois et demi en fin de match, les Girondins se sont montrés bien incapables d’être décisifs.
Alors prévoir ce genre d’enchaînements heureux hors de ses terres, ce serait à peu près du même niveau qu’une victoire du PSG à Monaco après un but où Armand aurait été laissé tout seul... Sauf que dans ce cas-là, personne n’a trouvé suffisamment de mauvaise foi pour laisser Le Guen s’autoproclamer génie du banc de touche. Comme quoi, dans la victoire ou la défaite, sur l’estrade de l’interviewé ou de l’autre côté du micro, tout est question d’honnêteté intellectuelle...