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Auteur Fil de discussion: Une Saison Rouge et Bleue  (Lu 5928 fois)
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Arno P-E
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« le: 06 Août 2007 à 16:35:01 »

Une Saison Rouge et Bleue sera une suite de textes courant sur toute l’année. Il ne s’agira pas d’une chronique, ni d’une série de compte rendus, mais d’une unique histoire se déroulant en parallèle de la saison 2007-2008. Le Paris Saint-Germain ne sera pas le thème principal, mais il servira très largement de décor à cette histoire.

Le rythme de parution des « épisodes » devrait être d’un texte toutes les deux semaines. Après, suivant les disponibilités et l’inspiration, ce sera du bonus.
 
Adrien, dont il est question dans ce chapitre d’introduction sera le personnage principal du feuilleton, mais il n’apparaîtra pas à chaque fois. Supporter du PSG, les résultats du club, et son actualité en général (grèves en tout genre, unions sacrées, heurts, etc.) tous ces évènements influeront directement sur ses aventures. Disons que la trame servira de prétexte pour parler du Paris Saint-Germain, et de ses supporters.

Toutefois, et même s’ils croiseront des joueurs ou des dirigeants du club, il faudra garder à l’esprit que tous les personnages d’Une Saison Rouge et Bleue ne sont que de pures inventions. Adrien n’existe pas, ce n’est pas un pseudonyme pour décrire un supporter célèbre d’assoce, ou je ne sais qui. Il ne représente qu’un personnage fictif. Disons que comme le veut la formule consacrée, tout lien avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuit, etc.




Une Saison Rouge et Bleue : Première Journée


Première journée :  PK 62,5


La tempe droite reposée contre la vitre arrière de la 405 pourrie, Adrien laissait défiler le paysage. C’est entre deux soupirs misérables et un bâillement goitreux semi-contrôlé qu’il découvrit avec une molle surprise le panneau de la société des autoroutes. Le premier péage de l’autoroute A6, point de sortie de l’Île-de-France, se trouvait désormais à moins de cinq kilomètres. Non pas qu’Adrien eût prêté le moindre intérêt à la distance en elle-même, mais le panneau précisait qu’ils rejoignaient la barrière de péage de « Fleury-en-Bière », et allez savoir pourquoi, Adrien avait toujours cru que l’A6 commençait par le péage dit de « Corbeil-Sud »... Etrange.
Il jeta un coup d’œil à sa montre. A peine quarante minutes qu’ils étaient partis, sa tante Jeannine, son cousin Brandon et lui, et il en avait déjà marre. Ce sentiment l’inquiétait d’ailleurs quelque peu, vu que les vacances en famille étaient encore loin d’être finies... Peut-être qu’une hibernation ferait au moins passer le trajet plus rapidement ? Basculant sa casquette PSG sur son front, Adrien ferma les yeux et tenta de se concentrer sur la musique de son baladeur MP3. Pas facile quand l’autoradio balançait à fond du Dalida.
Je vais vous raconter, avant de vous quitter...
Dire que pendant ce temps-là Paris disputait son match de reprise contre Sochaux, et qu’il suffirait de se brancher sur la radio pour en avoir un résumé !
 ... l’histoire d’un p’tit village près de Napoli. Nous étions quatre amiiiis, au bal tous les samediiiis...
Mais non, au lieu de ça, Adrien était bloqué dans cette épave année modèle 1989, direction Nowhere-en-Garenne, pour trois semaines de stage commando, option « survie en zone campagnarde » !
 ... à jouer, à chanter toute la nuiiiiit. Giorgio à la guitare, Sandro à la mandoliiiine...
Trois semaines perdu au milieu des champs, histoire de manquer tout ce qui fait le charme du mois d’août : la reprise du championnat, les premiers déplacements, les retransmissions télé, et l’actu des transferts... La totale.
... moi je dansais en frappant du tambourin. Mais tous ceux qui venaient, c’était pour écouter, celui qui faisait battre tous les cœurs. Et quand il arrivait, la foule s’écriait : « Maman, on peut s’arrêter, j’ai vraiment envie là ! »
Gné ? La foule s’écriait quoi ?
Oh bon sang, si maintenant Adrien se mettait à la fois à écouter la chanteuse préférée de sa tante, ET les jérémiades de son cousin, il ne tiendrait jamais le coup !
- Bien sûr mon chéri : comme d’habitude, on s’arrête juste après le péage. Ca c’est la voiture mon Brandon : ça secoue, ça secoue !
Les paupières closes, Adrien haussa les épaules, désespéré.
- Tss... Et en plus d’être supporter de l’OL, le Brandon chéri a une vessie de raton laveur...
- Maman !!!
- Adrien !
Ouvrant un oeil sous la visière rouge et bleue, Adrien comprit un peu trop tard que trahi à la fois par Dalida et par son i-Pod, ses pensées avaient été dépassées de très loin par ses paroles. C’est qu’entre Gigi L’Amoroso et TV on the Radio, il était difficile de penser autrement qu’à voix haute.
- Oups... Désolé. C’était pas censé être audible.
Adrien grimaça. Surprenant comme l’atmosphère s’était rafraîchie d’un seul coup. En fin de compte sa tante avait raison : en y mettant un peu du sien, la clim, dans les voitures, relevait du gadget inutile.
Après être resté quelques secondes immobile, Adrien extirpa les écouteurs de ses oreilles et se redressa sur son siège défoncé. Le temps de regretter que le concours de la voiture où on faisait le plus la gueule le jour du départ en vacances n’existe pas, et Adrien vit sa tante engager le tas de tôle dans l’aire de repos qui ne s’appelle pas Corbeil-Sud.
Une fois la voiture immobilisée sur la place libre la plus proche des toilettes, c’est-à-dire à l’autre bout du monde, tante Jeannine tourna son visage congestionné vers les sièges arrières. Fusillant du regard un Adrien étalé, et un Brandon boudeur, elle souffla d’une voix glaciale :
- Bon, vous, vous restez ici pendant que je fais ce que j’ai à faire. Vous irez ensuite.
Si Adrien avait parfois bien du mal à trouver des qualités à sa tante, sur ce coup il lui fallu bien reconnaître qu’elle présentait des dispositions insoupçonnées pour briguer une carrière de ventriloque : réussir à prononcer une telle phrase, les mâchoires complètement serrées comme elle venait de le faire représentait une performance qui devrait lui permettre haut la main de passer dans l’émission de Patrick Sébastien. Mais au moment où il allait la complimenter en lui recommandant cette nouvelle orientation professionnelle, son cousin lui coupa la parole.
- Mais Maman, je suis très pressé moi !
- Et bien tu attendras. Ca te musclera la prostate, et si j’en crois mes anciennes expériences avec ton père, ça ne peut pas te faire de mal. En attendant, ne vous éloignez pas de la voiture !
Ses joues toujours aussi rouges, tante Jeannine claqua la porte et quitta le champ de vision des deux garçons. Adrien se tourna vers son cousin. Une ride de perplexité lui barrait le front :
- A ton avis, elle a peur de quoi ? Qu’on nous vole une épave dont même un ferrailleur roumain volant des plaques d’égout pour les revendre au poids ne voudrait pas, ou qu’on lui pique ses précieuses cassettes de Dalida ?
Quelque peu focalisé sur la trop forte pression exercée parla boucle de sa ceinture sur sa vessie, et peu enclin aux longs discours, Brandon répondit sèchement :
- Adrien, t’es vraiment obligé de toujours ouvrir ta grande bouche ?
Décontenancé, Adrien prit le temps de la réflexion.
- Obligé, non, mais maintenant que tu évoques ce problème, je dois avouer qu’il est vrai que j’ai parfois du mal à m’en empêcher... Comme de désobéir aux consignes débiles d’ailleurs... Allez, j’y vais, rétorqua Adrien en sortant de la 405 pour se dégourdir les jambes, abandonnant derrière lui un Brandon au front perlant de sueur et au bas-ventre contracté dans un long effort solitaire.
- Adrien ? Tu vas où ?
- Bah, aux toilettes !
- Non ! Il faut que quelqu’un reste, Maman nous a interdit de partir ! Qui gardera la voiture si tu vas aux toilettes ?
- Là, sur l’impulsion du moment, je dirais « toi »... Mais ne t’inquiète pas : je t’ai entrouvert une fenêtre, tu ne risques rien. Si quelqu’un s’approche tu penseras à grogner s’il te plait. Mais ne gratte pas les sièges comme la dernière fois, ça les abîme.
- Quoi ? répondit Brandon, écartelé entre le respect des aînés qui l’obligeait à rester trépigner sur son siège, et une soudaine envie de meurtre. Je... Je le dirai, je le dirai !
Souriant et replaçant sa casquette fétiche sur ses cheveux ras, le Parisien s’éloignait déjà de la voiture.
- Je n’en doute pas ! A toute !
Perdu dans ses pensées, Adrien se dirigeait vers les toilettes, repensant à ce que son cousin lui avait lancé. C’est qu’il était tombé juste : pourquoi fallait-il qu’il prononce le mot de trop, alors qu’il savait très bien que cela lui attirait systématiquement des ennuis ? D’autant qu’être incapable de se taire, quand on était à la fois fluet, et peu doué dans quelque art martial que ce soit, cela relevait vraiment de la mauvaise combinaison. Alors Adrien retournait encore une fois son problème, l’étudiant sous tous les angles : comment faire pour se forcer à écouter cette petite voix qui le prévenait, au moment même où il se mettait tout seul dans la panade ? Comment se la fermer avant qu’il ne soit trop tard ? 
Le nez entre les chaussures, et perdu dans ses réflexions, Adrien ne prêtait pas attention au flot des autres voyageurs qu’il croisait sur le chemin des sanitaires. Il manqua donc s’empaler sur le type qui le précédait...
- Pardon, désolé... 
- Y a pas de mal minot, répondit son interlocuteur : les Parisiens, à un mètre des cages ils marquent pas, alors toi, avec ta casquette, à un mètre de distance tu ne me vois pas, c’est logique.
Surpris, Adrien étudia le spécimen. Le lycéen type, jolie coiffure à la Beckham, figée par un monticule de gel pour gars qui le vaut bien. Une bonne tête de plus que lui, et un maillot de l’OM sur le dos. Le gars lui bloquait délibérément le chemin. D’accord...
- Ecoute, je t’ai présenté mes excuses, ma journée est difficile, je veux juste aller pisser, alors lâche l’affaire tu veux ?
- Bon, bon, répondit le Marseillais... La vie est pas marrante quand on supporte le PSG, c’est vrai. Pas Sûr de Gagner, hein ! Allez, j’ai pitié de toi, un petit sourire et je te laisse passer.
Hochant la tête de gauche à droite, Adrien sentit que ça le reprenait. Non, décidément, sur ces coups-là, il ne pouvait pas se taire... Tant pis. Baissant les épaules, il dit d’une voix lasse :
- Pourquoi il a fallu que tu insistes ? Tu n’aurais pas pu te barrer, non ?
- Quoi, hein ? Tu me menaces ? Attends, je suis pas tout seul hein !
- Non, je ne te menace pas..., répondit un Adrien qui regardait ses chaussures, l’air peiné. Je t’admire.
- Hein ?
- Oui, j’ai beaucoup d’admiration pour les supporters de Marseille en général.
Le Phocéen, un peu perdu, cherchait un témoin du regard... C’était presque trop facile.
- Ah ? Tu nous admires ? C’est bien...
- Non, c’est normal. Vous au moins au Vélodrome vous êtes des vrais. Respect.
Le jeune Marseillais se détendait, laissant venir les éloges avec un plaisir évident. Alors que son interlocuteur bombait un torse gonflé d’orgueil, pensant déjà à ce qu’il pourrait raconter à ses copains, Adrien souriait intérieurement. Il suffisait vraiment tous de les caresser dans le sens du poil pour les cueillir. Maintenant, soulevant d’une chiquenaude la visière de la casquette fétiche, et souriant innocemment au Phocéen, il lança :
- Oui, vous êtes des vrais. Continuer à venir supporter une équipe qui n’a rien gagné depuis quinze ans, je dis respect. Perdre toutes ses finales, finir deuxième avec une telle régularité mais y revenir quand même, saison après saison, là je m’incline.
- Quoi, quoi ?
- Tu vois, se prendre une fessée en finale de Coupe de France contre nous, perso je croyais que ça vous aurait suffi. Mais non, il a fallu que vous recommenciez l’année d’après, contre Sochaux. Grande classe.
- Hey ! Attends, je vais pas te laisser dire...
- C’était une histoire de symétrie, d’esthétisme, c’est ça ? Un coup sur la fesse gauche en 2006, un coup sur la droite pour 2007 ? En tout cas, vous voir de retour pour vous faire réavoir l’année suivante, je m’incline. C’est beau.
- Mais ?
- Non, non, vous êtes les meilleurs. C’est merveilleux de supporter une équipe de perdants. Il en faut, pour la beauté du sport, et tout. Bravo. Allez, c’est pas tout ça mais je file maintenant, j’ai une petite commission à faire moi... En espérant vous recroiser en mai au Stade de France, hein. Ca fait toujours des bons souvenirs.
Passant devant la bouche ouverte et les yeux arrondis du Marseillais, Adrien se dirigea vers les toilettes la tête bien droite, agitant les mains au dessus de sa tête quand il entendit le marseillais le prévenir :
- Attends un peu : on va te péter la gueule, sale facho de Parisien.
Mimant ses oreilles de lapin sans prendre la peine de se retourner, Adrien continua son chemin...
Bien lui en pris d’ailleurs. Ne pas regarder en arrière lui évita quelques nœuds dans l’estomac. Ainsi, il ne vit pas le Marseillais se diriger vers ce qui ressemblait à s’y méprendre à l’intégralité des membres masculins de la famille Ribéry : une dizaine de gars, du petit-fils au grand-père, présentant le même visage patibulaire et le même œil vitreux, discutant en tee-shirt sans manches autour d’un pack de bières et d’un van affublé d’un énorme autocollant « droit au but ».
Alors qu’il disparaissait derrière les arbres les plus proches des toilettes, Adrien ne vit pas davantage que la bande formait un cercle autour du garçon dont les gestes étaient on ne peut plus explicites. Malgré le fort accent de la Canebière mâtiné d’une pointe de Ch’ti, perceptible jusque dans la langue des signes, pas besoin de traduction : l’index vengeur désignait clairement les WC vers lesquels Adrien se rendait.
Ayant échappé à la vision de ce conciliabule enflammé et funeste pour sa propre personne, c’est donc l’âme sereine et la conscience tranquille qu’Adrien rejoignit les lavabos devant lesquels trônaient sa tante et son cousin, bras croisés et mine des grands jours. Brandon n’avait donc pas tenu, et il avait fallu qu’il court informer sa mère de l’évasion d’Adrien. A cause de l’intermède Marseillais, Brandon était arrivé le premier, en profitant pour brosser un tableau qu’Adrien imaginait peu flatteur pour propre sa cause. Vraiment, quoi que vous fassiez il y avait toujours un Phocéen pour vous causer des ennuis...
La fan de Dalida ouvrit les hostilités :
- Mais où étais-tu passé ? On te cherche depuis je sais pas combien de temps !
-  J’ai été retenu quelques instants par un membre d’une secte pratiquant des rites masochistes, c’est pas de ma faute ! Mais je crois bien l’avoir convaincu que je n’étais pas intéressé.
- Quoi ? Tante Jeannine jeta à son neveu un regard interloqué. Oh, je n’essaye même pas de comprendre. Bon, je retourne à la voiture, toi, tu restes avec ton cousin, qui a eu la gentillesse de t’attendre, mais sois-sûr je m’en souviendrai !
- Oui ma tante...
Souriant alors que Jeannine et son bermuda à fleurs se dirigeaient à la fois dans la direction de la 405 et d’un groupe de types au regard évoquant un poisson resté trop longtemps exposé au soleil du port de Marseille, Adrien se tourna vers son cousin. Cette affaire avec le supporter de l’OM lui avait rappelé que le monde comptait des spécimens bien plus graves que Brandon, et qu’il n’était peut-être pas si mal tombé que cela avec son cousin. Torturé par sa conscience qui lui sommait de se montrer agréable, il lui emboîta le pas et tenta de renouer le dialogue.
- Excuse-moi pour tout à l’heure Brandon, dit Adrien en courant pour rattraper son cousin. C’était un peu nul de te laisser tout seul. Je n’aurais pas dû...
Alors qu’ils entraient dans le coin réservé aux hommes, Adrien s’étonna : Brandon restait bien silencieux, et tentait visiblement de réfréner un demi sourire malintentionné. Le jazz diffusé dans les toilettes par Autoroute FM, au cas où les usagers voudraient apprendre devant une pissotière qu’un bout de pneu brûlé créait un bouchon sur l’A71, ne suffit pas à défaire Adrien de son mauvais pressentiment. L’absence de réaction du cousin n’était pas normale. Comme il allait demander à Brandon ce qu’il mijotait, Adrien vit une main passer devant son visage, et se sentit soudainement comme nu. Le cousin s’enfuyait avec son porte-bonheur !
- Ma casquette ! Brandon, rends-moi ma casquette !
Mais le supporter de l’OL fermait déjà le verrou, et c’est d’une voix venue d’outre-chiottes qu’Adrien fut instruit de la machiavélique fourberie  :
- Ah, tu fais moins le malin maintenant, dit la voix. Je me demande ce que je vais en faire de ta casquette fétiche. Peut-être que je vais la porter, pour voir si elle me va bien ?
- Arrête, dit Adrien d’une voix posée. Tu vas mettre des mauvaises ondes dessus ! C’est un coup à ce que les arbitres se mettent à siffler pour nous ça...
- Ou alors je vais la laisser tomber dans le trou. Je suis si maladroit...
Adrien laissa filer quelques secondes avant de répondre :
- Fais-en ce que tu veux Brandon, mais avant, réfléchis bien. Parce que tôt ou tard, il faudra que tu sortes d’ici. Et là, ça me dérangerait que tu aies des choses à regretter...
- Euh... Tu ferais quoi ? Tu vas me taper ?
Jetant un coup d’œil à son reflet malingre dans le miroir, Adrien fut surpris de constater que son cousin était encore plus lâche que lui.
- Non. J’aimerais bien, mais la Nature m’oblige à être non violent. En revanche ce serait dommage que ta mère apprenne ce que tu caches sous ton lit, tu ne crois pas ?
La porte en bois à laquelle Adrien s’adressait ne répondit rien.
- Brandon ? Tu m’as entendu ?
- Oui...
Le ton du cousin semblait déjà moins assuré qu’avant...
- Très bien, reprit Adrien. Alors pendant que tu pèses le pour et le contre, moi je vais me vider la vessie. On se retrouve à la voiture...
Quelques minutes plus tard, Adrien rejoignait la Peugeot, s’étonnant qu’elle soit effectivement aussi délabrée que dans ses souvenirs. Parfois la mémoire ne joue aucun tour...
- Ah, te voilà, dit la tante Jeannine... Mais où est mon Brandon ? Tu l’as encore laissé seul ?
- Non, il est aux toilettes, avec sa conscience.
Tante Jeannine, qui semblait tout à coup très fatiguée ferma les yeux et se pinça le haut de l’arête du nez... Des éclats de voix s’élevaient au loin. Sans doute une engueulade familiale. Bizarre...
La tante reprit, dans un soupir :
- Et tes amis ?
- Mes amis ? répondit Adrien, perplexe. Quels amis ?
- Le groupe de garçons avec des maillots de foot blanc, et un accent bizarre, répondit la tante. Ils m’ont dit qu’ils cherchaient à discuter avec leur « camarade » : un adolescent avec une casquette du PSG et qui a la langue trop pendue. C’est toi ça, non ?
Gêné par des bruits sourds résonnant depuis l’entrée de l’aire de repos, comme si une armée de bûcherons cherchait à façonner une planche à coup de pieds, Adrien avait du mal à se concentrer.
- Ca dépend... Tu leur as répondu quoi ?
- Et bien la vérité évidemment ! Que tu étais aux toilettes. A ce propos, laisse-moi te dire qu’ils n’avaient pas particulièrement bon genre ces garçons. J’aimerais qu’à l’avenir, tu choisisses un peu mieux tes fréquentations.
- Je n’y manquerai pas ma tante... Mais après, ils ont fait quoi ces types ?
- Ils sont partis te rejoindre, ils n’allaient pas non plus rester avec moi discuter du beau temps, tu imagines bien. Vraiment, je suis étonnée que tu ne les aies pas vus, ton cousin sortait tout juste pour se laver les mains quand ils se sont mis à courir vers les WC.
- C’est-à-dire que comme Brandon voulait rester seul pour réfléchir un peu, moi je suis allé faire pipi dehors. Pour ne pas le déranger. Ceci dit tante Jeannine, comme c’est lui qui a ma casquette, je suis en train de me dire qu’il se pourrait bien que de loin tes interlocuteurs aient confondu Brandon avec moi. Peut-être sont-ils déjà en train de « discuter » avec lui... s’il a eu la mauvaise idée d’ouvrir la porte.
Adrien se racla la gorge... Les craquements de bois et ce qu’il fallait bien maintenant avouer être des appels au secours avaient soudainement cessé, après un ultime hurlement sinistre et paniqué.
- Ma très chère tante, je me demande si tu ne devrais tout de même pas aller voir aux WC ce qui s’y passe.
- Tout de suite ?
- Euh, non, tu as raison : passe voir les gendarmes d’abord. On ne sait jamais. Moi, je reste garder la voiture, par sécurité.

C’est donc assis dans la Peugeot « de collection », à en croire le contrat d’assurance, qu’Adrien suivit à la radio la première journée de L1, sur le parking de l’aire de Fleury. 
Tout le monde avait beau le prévenir que sa casquette fétiche portait la guigne à qui se la mettait sur la tête, Adrien ne voulait pas s’en séparer. Et là, encore une fois, c’était à cause d’elle qu’Adrien avait pu suivre le match nul contre Sochaux, zéro à zéro. La première déception de la saison.
La barrière de péage où il s’était retrouvé bloqué était située juste avant le Point Kilométrique 62,5, marquant la fin de couverture des ondes émises par la Tour Eiffel, et donc limite à partir de laquelle l’autoradio, bloqué depuis mars 2003 sur 104,7 fm ne captait plus que des crachouillis. Dire qu’en repartant comme prévu, avec Dalida dans les baffles, il aurait pu échapper à cette reprise de Pierre-Alain Frau sur la transversale qui allait lui pourrir sa semaine... Il y a des soirs où être maintenu dans l’ignorance serait préférable.
Attendant que les gendarmes comprennent exactement pourquoi sa tante avait attaqué à coup de pierres un attroupement de supporters marseillais eux-même occupés à lyncher un Lyonnais de passage, puis déterminent comment elle avait réussi à causer des blessures à trois d’entre eux, notamment à l’oncle d’un célèbre international français parti depuis peu à Munich, Adrien croisa ses mains derrière sa nuque et soupira.
A part quelques bleus, Brandon n’avait rien, mais le Paris Saint-Germain avait dû se contenter du seul point du nul... et lui avait retrouvé sa casquette agrémentée d’un nouvel accroc. La saison 2007-2008 ne s’engageait pas sous les meilleurs auspices.




Prochain épisode (prévu mi-août) : 2ème journée,  Le RCL en LSF.
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« Répondre #1 le: 14 Août 2007 à 21:08:54 »



Résumé de l’épisode précédent :
Adrien, jeune supporter parisien est contraint de partir en vacances le jour même de la reprise du championnat avec sa tante Jeannine et son cousin Brandon, fan de l’OL. Bloqué bien malgré lui sur une aire de repos, il ne pourra suivre PSG-Sochaux qu’à la radio.


Deuxième journée : Le RCL en LSF


L’impatience qui bouillait en lui était si grande qu’il ne se rendit pas tout de suite compte qu’il saignait. Ce n’est qu’une fois perché en équilibre instable sur la clôture suivante qu’Adrien vit que la moitié de son bermuda et de son mollet gauche étaient restées accrochées aux barbelés, à l’entrée du pré. Adrien examina l’estafilade en grimaçant. Après une telle course, il pouvait bien se prendre un temps pour souffler en haut de la barrière. Contrairement aux signaux que recevait son cerveau hurlant à la mort, Adrien constata que sa jambe saignotait à peine. Ceci dit, une plaie causée par de vieux fils rouillés, en plein cœur du Forez, s’il ne chopait pas au moins le tétanos avec ça, il serait bon pour déposer une pleine brassée de cierges à l’église Sainte Jeanne-de-Chantal, dès son retour.

Tout de même : cavaler à travers champs pour pouvoir suivre une rencontre du PSG à la télé... Aucun Parisien ne devrait être obligé de faire des trucs pareils ! Seulement voilà, tante Jeanne avait sans doute loué la seule maison de France ne disposant pas de télévision. En 2007, vivre sans téléviseur !
Au début, Adrien avait supposé qu’il participait à son corps défendant à une sorte d’expérience hippie, un retour aux sources justifié par une obscure quête spirituelle. Enfin bref il s’était convaincu qu’il devait exister une raison très profonde pour qu’il soit obligé de loger dans une masure coupée du monde cathodique. Mais sa tante l’avait vite calmé : « tu croyais vraiment que dans une location à 250 euros les trois semaines début août, tu aurais un écran plasma ? Et pourquoi pas une connexion Internet haut débit et une piscine à remous, en passant ? ».
Parce qu’en fait de connexion avec le monde extérieur, Adrien avait tout compris dès leur arrivée au fond de cette vallée perdue. A des heures à pied de la première ville, les échanges seraient moins aisés qu’il ne l’espérait. Fâcheux pour tout ce qui concerne la question des autochtones du sexe opposé, bien sûr, mais aussi pour la quête du journal L’Equipe, celui qui va bien quand on a rien d’autre à faire que glander toute la journée.
Le lendemain, une fois intégré le fait qu’il passerait ses vacances sans télévision et que le poste radio à piles abandonné sur une étagère de la cuisine refusait obstinément de capter autre chose que Radio France Classique, Adrien prit conscience qu’au delà du simple plaisir du farniente, s’informer sur la fin du mercato risquait de se montrer délicat. Quand on sait que s’enquérir des dernières rumeurs relève juste du minimum vital en période de transfert... Décidément, ça partait très mal.
Mais c’est le samedi suivant, après avoir constaté que Brandon avait vidé le forfait compte bloqué du téléphone portable familial en téléchargeant quatorze versions différentes de la sonnerie « j’aime trop ton boule », et annihilé ainsi l’ultime chance de passer un coup de fil de renseignements sur la soirée de L1 en cours, que le moral d’Adrien chuta vraiment. Autant jusqu’ici les vacances se déroulaient très lentement, comme écrasées par une torpeur vaguement chiante, autant là, en contemplant le téléphone dont l’écran noir semblait le narguer, avec la radio diffusant la soirée spéciale Berlioz, et pas de télé disponible pour avoir ne serait-ce que les tableaux de résultats de Soir 3, Adrien se dit qu’il ne parviendrait jamais à tenir le coup.

Heureusement la nuit porte conseil. Surtout quand on en passe une bonne partie les yeux grands ouverts à se demander si les résultats des matches de la journée étaient favorables au PSG avant son déplacement à Lens. Aussi, au réveil, Adrien avait pris sa décision : tant pis, il fallait aller voir le match chez le père Gaudoire. Coûte que coûte.
Moustachu comme il se doit, et visiblement adepte des promenades vicinales en tracteur à échappement libre dès les premières lueurs de l’aube, le père Gaudoire était leur plus proche voisin. Dans le coin, cela n’avait d’ailleurs pas grande signification puisqu’il fallait tout de même marcher une bonne douzaine de minutes sur la route gravillonneuse pour rejoindre sa ferme, et un peu moins en coupant à travers champs. D’où la partie d’escalade de clôtures avec hémorragie quasi massive à la clef.

Comme il tentait de redescendre de la dernière barrière dans une envolée pleine de style, malgré la fatigue, Adrien vit au milieu de sa lente chute, digne de celle d’un fruit trop mûr s’écrasant sur le carrelage, que ses chaussures avaient décidé de leur propre initiative de rejoindre une flaque bien boueuse, au milieu du chemin. Evidement, en milieu urbain les Yamakazis n’avaient pas ce genre de contrariété. Facile quand on se limite à deux murets et trois bacs poubelles du 93.
- Je t’enverrais tout ce monde là en stage à Chazelles-sur-Lyon moi, ça ferait moins les malins, haleta Adrien, vérifiant que sa casquette fétiche n’avait pas quitté son crâne.
- Kèss-tudi ?, répondit la haie d’en face.
Adrien releva la tête un peu surpris.
- Bah tu es là toi ? Je croyais que tu devais monter dans l’arbre pendant que je faisais l’aller-retour !
Après avoir tressailli de droite et de gauche, les branches s’ouvrirent pour laisser passer le visage rond du cousin et sa coiffure censée imiter celle du chanteur des Tokio Hotel. Brandon avait l’air penaud de celui qui ne tient pas trop à narrer ses exploits :
- C’est que j’ai essayé, mais tout seul j’y arrive pas. Faudrait que tu me fasses la courte-échelle pour que je... Oh, la vache !
Adrien sursauta, alors qu’il enjambait le fossé au pied de la haie :
- Quoi, quoi ?
- Quand Maman va voir dans quel état tu as mis ton bermuda, tu vas te faire engueuler !
Adrien haussa les épaules.
- D’une, c’est mon bermuda, je vois pas en quoi ça la concerne si je veux lui raccourcir la jambe gauche...
- M’enfin là observa Brandon, elle est surtout arrachée ta jambe de pantalon !
- De deux, je te remercie de te soucier de ma blessure avant de me prendre la tête avec un bout de tissu...
- Parce qu’en plus tu l’as tâché avec du sang ? Bah alors là...
- Et de trois, si tu n’avais pas oublié les jumelles à la maison je n’aurais pas été obligé de me taper un trois mille mètres steeple - barbelés pour retourner les chercher... Même les chinois ont pas pensé à ça pour leurs JO. Tiens, aide-moi à rentrer dans le verger au lieu de rester sans rien faire.
Brandon tendit la main à son cousin, tout en argumentant pour sa défense :
- OK, j’ai oublié la paire de jumelles. N’empêche que si toi tu n’avais pas éprouvé le besoin de traiter les Stéphanois de salopes, on aurait pu voir le match depuis le salon du père Gaudoire, et on en aurait pas eu besoin du tout de ces jumelles !... Fais attention au fil.
- Waïatch !
Adrien sauta sur place en se tenant la main droite.
- Putain, tu pouvais pas me prévenir que c’était électrifié ?
- Mais je t’ai dit : « attention au fil » ! Moi aussi je me suis fait avoir tout à l’heure.
- Ca veut rien dire ça, attention au fil !, rétorqua Adrien avec un fond de mauvaise foi que la douleur causée par la décharge ne justifiait pas complètement. Faut être clair dans la vie. C’est comme quand tu m’accuses d’avoir traité les fans de Saint-Etienne de tous les noms. Le père Gaudoire, je lui ai juste demandé ce que ça lui faisait de supporter un club dont le président était une pute, c’est tout. Pas de quoi en faire un plat !
Brandon hocha la tête, découragé :
- Je ne trouve pas ça tellement mieux. Le gars nous dit que oui il a Canal +, qu’il regarde tous les matches de foot et qu’il nous invite, et quand il avoue que son équipe préférée c’est Sainté, toi tu lui traites son président ! Tout ça parce que Caïazzo voulait pas vous vendre Zoumana Camara...
- Mais si il voulait nous le vendre, tempêta Adrien. T’es vraiment benêt mon pauvre Brandon ! Il a juste fait lanterner tout le monde pour faire grimper les prix. Puisque je te dis que c’est une pute ce gars !
Adrien arrivait enfin au mirabellier qu’ils avaient repéré l’après-midi même. Le plus haut du verger, avec une vue dégagée sur la fenêtre du salon de la ferme. Le seul planté pile dans l’axe du téléviseur. Une trentaine de mètres le séparait de l’écran, avec les jumelles ça irait très bien. De quoi se plaignait Brandon ? Et au moins, ils n’auraient pas à subir la conversation du paysan.
- Mais toi Brandon, tu aurais pu aller le voir chez lui le match, rien ne t’en empêchait ! glissa Adrien dans un sourire digne du plus innocent des angelots.
Brandon regarda à terre, ses épaules s’effondrant brusquement.
- Adrien, t’es vraiment dégueulasse.
- Quoi ? Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait encore ?
- T’étais pas obligé de lui dire que je supporte l’OL !
Adrien attrapa la branche la plus basse, et commença à grimper dans l’arbre.
- Bah écoute, que ta mère loue une maison à côté d’un bled qui s’appelle Chazelles-sur-Lyon, mais dans le Forez, tout près de Saint-Etienne, le pur village bourré de supporters certifiés ManuFrance, j’ai pas pu résister.
Brandon essaya de rejoindre son cousin, le visage renfrogné.
- C’est ce que je disais, bouda-t-il : t’es dégueulasse.
- Attends, répondit Adrien depuis une branche assez peu confortable, mais qui donnait vers la ferme des Gaudoire : toute l’année quand tu dis que tu es lyonnais, le monde entier te cire les pompes. Même chez nous, à Paris ! Jamais de risque, jamais d’adrénaline. Là au moins tu vois ce que c’est que d’être en terrain ennemi. Tu profiteras vachement mieux de ta chance le reste de la saison, maintenant que tu as vécu cette expérience de vie en milieu hostile. Tu devrais me remercier, tiens...
Alors qu’il retombait lourdement au pied du mirabellier après son troisième essai infructueux, Brandon acquiesça :
- Ca pour voir le milieu hostile, j’ai vu. Enfin jusqu’à ce qu’il aille chercher sa fourche...
- Oui, opina Adrien. D’ailleurs en fin de compte, tu cours largement aussi vite que moi en fait. En tout cas cette fois-là tu m’as rattrapé.
- Tout est question de motivation. Dis-donc, tu veux pas redescendre pour me filer un coup de main ?
Adrien retourna sa casquette PSG dont la visière le gênait pour régler l’optique des jumelles :
- Non, c’est bon, je vois bien là moi. Et ça commence juste !
Brandon trépigna, au pied de l’arbre :
- Ils parlent de l’OL, ils parlent de l’OL ?
- T’es idiot ou quoi, comment tu veux que je sache de quoi ils parlent ? C’est des jumelles que je porte, pas un micro du FBI ! En plus je connais pas la Langue des Signes Française, alors pour te dire de quoi ils parlent, ça va être coton. Je vais déjà essayer de te commenter le jeu... Pour l’instant on est à 0-0, mais on domine.

La première mi-temps passa en un éclair. Adrien manqua tomber de sa branche sur l’action de Clément, quand le milieu de terrain perfora l’axe avant de frapper au but ; il prêta à Monterrubio des pratiques sexuelles que l’église réprouve quand le joueur lensois essaya d’arracher la rotule d’un Bernard Mendy toujours aussi excentrique sur la question capillaire ; et il proposa quelques exercices à base de fouets et autres bambou à glisser sous les ongles de Diané pour lui apprendre à cadrer une frappe, mais à part ça, tout se déroula plutôt tranquillement.
Brandon s’agitait de temps en temps au pied du mirabellier, grignotant des fruits directement sur l’arbre, tout en essayant d’attirer l’attention de son cousin :
- Adrien ! Hep, Adrien ! Il se passe quoi ?
- Toujours pas de but, on est maudits. Pourtant Rothen est en train de mettre la misère à Demont. Il doit en être à son cinquantième centre ! Au milieu on les bouffe, on a un pressing de malades, et même le Ber’ a réussi à donner plusieurs bons ballons de buts. Mais devant on cadre rien.
- Tu veux pas me passer les jumelles un peu ?
Adrien répondit sans décoller les yeux des lunettes :
- Passe les prendre, pas de problème.
- Très drôle, soupira Brandon, toujours bloqué en bas.
- Bon, OK, je descends... dit Adrien. Tiens, les voilà tes binocles !
- Ah... Merci ! (Brandon se tournait enfin vers l’écran, réglant les molettes des jumelles non sans excitation. On voyait tout aussi bien d’en bas...) Mais ? Pourquoi ils nous montrent Domenech, là ? Qu’est-ce qu’il fout sur le banc lui ? Et les gars jouent en bleu et en blanc ? C’est quoi ce match...
Adrien faisait quelques pas, essayant de se dégourdir ses muscles fessiers que la branche avait talés :
- Bah j’en sais rien moi, ils meublent, c’est la mi-temps après tout !
Ecœuré, Brandon abaissa les jumelles et secoua ses mèches Tokio Hotel, outragé.
- Qu’est-ce que j’en ai à faire de voir la mi-temps moi ?
- Sois pas idiot, répondit Adrien : si il y a un moment où tu peux voir les résultats de ton OL, c’est maintenant. Essaye de déchiffrer les tableaux des scores, ils devraient les montrer bientôt, non ?
- Non, on a droit à un gros plan de Veissière et... Attends, le père Gaudoire se lève et regarde par ici !
- T’inquiète, il fait nuit, il n’y a pas un lampadaire à des kilomètres et son oeil s’est habitué à la lumière du téléviseur. Il ne nous verra pas, espéra Adrien.
- Chut, il ouvre la fenêtre !
- Merde, chuchota Adrien. Tu vas voir qu’il va fermer les volets ce con-là. On est marrons pour la seconde période.
- Qu’est-ce qu’on va faire ? Eh, Adrien, tu vas où ?
Mais Adrien avait déjà disparu dans l’ombre, courbé en direction de la ferme.
Alors que Brandon regardait sa montre en estimant que d’ici cinq minutes il considérerait son cousin comme définitivement perdu et devrait s’en retourner à la maison, des jappements excités retentirent soudain. Le chien des Gaudoire, attaché côté route, à l’autre extrémité de la ferme, hurlait après quelque chose, bientôt accompagné d’une voix rocailleuse et moustachue :
- Castanéda, ferme-là ! Couché Castanéda, couché... Tu as senti quelque chose ? Qui est là ?
- Wou whou, répondit le chien, peu enclin à suivre les ordres de son fan de la grande époque de l’ASSE de maître.
- Raaah, tais-toi Castanéda !, cingla la voix, depuis le devant de la ferme, avant que ne retentisse le bruit d’une porte que l’on claque.
Brandon attendait, caché derrière son tronc, tous les sens en éveil, quand un coup résonna, bien plus près. Toc ! Cette fois ci, cela semblait venir du salon de la ferme... Un autre : Ploc ! Mais qu’est-ce qu’Adrien était en train de faire, bon sang ? Chtoc ! Plus ça allait, et plus Brandon se disait que tout cela se finirait mal. Toc ! Le supporter de l’OL était à plat ventre, caché derrière son arbre, et il manqua s’étrangler avec son énième noyau de mirabelle quand les volets s’ouvrirent à la volée, face à lui. Une silhouette se découpait nettement à contre-jour dans l’encadrement de la fenêtre. Marrant, on aurait dit qu’elle tenait un fusil :
- Bande de petits cons, c’est vous qui balancez des trucs sur mes volets ? Vous allez voir tiens !
Quand le premier coup de feu retentit, Brandon sentit ses intestins se contracter. C’est dans ces moments épiques que l’on regrette d’avoir mangé autant de fruits pas forcément tous mûrs. La tête enfoncée dans les épaules, il maudissait à la fois sa gourmandise, son cousin, le fusil, voire les armes en général, et il en était là de ses réflexions pacifistes quand une ombre se glissa à ses côtés :
- Ca a repris ?
- TAAAHHH !, hurla Brandon.
- Fumiers de lyonnais !, cria l’ombre de la fenêtre, épaulant dans leur direction et tirant au jugé. Les feuilles bruissèrent, criblées, et quelques mirabelles rebondirent autour des deux cousins.
- T’inquiète, glissa Adrien, c’est du gros sel. Enfin je crois... Je disais : le match, ça a repris ?
- T’es cinglé, tu crois que j’ai que ça à faire que de mater sa télé à l’autre cinglé ? J’en sais rien si ça a repris, pleurnicha Brandon, les mains sur la tête, le visage contre terre. Et je me sens pas bien.
- Passe moi les jumelles alors, je vais te dire. Ah, on voit un bout d’écran à côté du fusil... C’est bon, toujours 0-0. Je retournerai balancer des mirabelles sur le clebs et les volets si il les referme.
- Je veux partir...
- C’est moi qui ai la lampe de poche pour retrouver le chemin, répondit Adrien, et je crois pas que ce soit une bonne idée de l’allumer maintenant. Attends, ça chauffe sur notre but là... Ouf, heureusement que Kalou a toujours pas appris à faire un contrôle pendant l’été, on était mal, ça sentait pas bon.
Un silence gêné pesa quelques instants avant la réponse...
- C’est à cause des mirabelles, avoua Brandon dans un sanglot, j’ai pas fait exprès.
Adrien ôta les jumelles pour regarder son cousin.
- Mais de quoi tu me parles ?
Brandon releva la tête. A la clarté de la lune, son visage semblait pis que livide : verdâtre :
- Tout ça c’est de ta faute. Je te déteste. Sans toi on se serait jamais retrouvé là !
- Brandon, on en a déjà parlé. Adrien rajustait sa casquette, qu’il avait manqué perdre dans son opération commando fruitier. C’est pas ma faute si tu supportes le club que tous les locaux détestent !
- Non, siffla Brandon, le regard franchement mauvais pour le coup. C’est de ta faute si on est partis en vacances. Sans toi on n’aurait jamais pu, et rien serait arrivé !
Adrien détacha son regard de ce match qui ne pouvait décidément pas se finir par autre chose qu’un 0-0. Si même Luyindula se mettait à gâcher la merveille d’enchaînement que Digard et Arnaud venaient de réaliser... Adrien pouvait bien relâcher son attention quelques instants :
- Attends, depuis que je suis arrivé chez vous au printemps, tante Jeannine arrête pas de me dire que je suis une bouche en plus à nourrir, et maintenant toi tu me balances que sans moi vous ne pourriez pas partir en vacances ?
- Les 250 euros de la location, d’où tu crois qu’ils viennent, gros malin ? demanda Brandon. C’est le maillot !
- Quoi ?
- Le maillot de ton père : elle l’a revendu, espèce de naze. Pour 250 euros, juste avant les vacances. Auparavant on n’avait jamais eu assez de fric pour partir !

Adrien sentit ses poings se serrer autour des jumelles. Les insultes du vieux Gaudoire s’envolaient toujours depuis le salon. Dans son dos, Pauleta s’était rassis sur le banc, mettant fin aux espoirs de le voir rentrer en jeu. Adrien pesa le pour et le contre. Bien sûr que ça le soulagerait, mais il se dit qu’étrangler son cousin lui causerait à terme sans doute plus de tort que de bien. Et puis désormais, pas question de se faire incarcérer pour meurtre.
Il avait un maillot à récupérer.


Prochain épisode (vers le 21 août) : D E au PdP
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« Répondre #2 le: 21 Août 2007 à 22:58:05 »

Résumé des épisodes précédents : Adrien, jeune supporter du PSG a été contraint de partir en vacances dans une masure avec sa tante et son cousin. Coupé du reste du monde en plein mois d’août, il apprend que l’argent de la location venait en fait de la vente d’un maillot de foot de son père.

D E au PdP


Assis sur le fauteuil de cuir noir, François Valloire recommença son témoignage, encore une fois... Et début le début.

Réussir à décrocher le poste de responsable des relations publiques du PSG avait représenté un rêve pour lui. Et ce rêve était devenu réalité il y a quelques mois. Recevoir des stars du show-biz, organiser les réceptions d’après match, tout cela se révélait chaque jour plus agréable encore que ce qu’il avait imaginé. Ensuite, il y avait tout ce qui consistait à gérer la presse. Cirer quelques pompes de journalistes afin d’éviter les articles trop acerbes dans les quotidiens du lendemain... Mais cela ne le dérangeait pas non plus : François avait toujours été doué pour cirer les pompes. En fait, il se sentait fait pour ce boulot, et avait cru que ce boulot était fait pour lui...

Jusqu’à mercredi dernier, et ce fameux PSG – Lorient.

S’il avait été sportif de haut niveau, L’Équipe aurait écrit que le responsable des relations publiques du club de la capitale était passé au travers de son match. Mais là, au sein du PSG, ses collègues se contentaient de dire qu’il avait complètement merdé. Pas vraiment plus agréable à entendre...

Valloire pouvait se remémorer chacun des instants qui avaient émaillés cette soirée de match cauchemardesque : son stress, comme il attendait à l’entrée VIP du siège du Parc des Princes. Le fait que pour la première fois, il aurait préféré avoir choisi une autre voie professionnelle au sortir de sa grande école. Tiens, pourquoi pas la grande distribution ? C’était très bien ça aussi, la grande distribution... Sauf qu’il était bien trop tard pour tabler sur une reconversion lui permettant d’échapper à l’épreuve du jour quand il en avait eu l’idée... Dieter Erlenmeyer se dirigeait déjà vers lui. Et le vieux arborait un air encore plus désagréable que sur la photo qu’on avait confiée à François peu auparavant, afin qu’il puisse reconnaître instantanément cet homme qu’il n’avait pourtant jamais vu. Vous pensez : un nouvel actionnaire américain venu déterminer quelle stratégie les fonds de pension allaient appliquer au club de la Capitale. Il eût été ballot de le laisser poireauter devant le stade... Un homme qui avait la réputation de démanteler une entreprise pour mettre au chômage des centaines de pauvres gars, le tout avec la même recette que Diané quand ce dernier frappait au but : les yeux fermés et sans penser à rien. Sauf que la banquier ne ratait pas sa cible, lui...

En gros, les consignes qu’on lui avait délivrées étaient les suivantes : si Erlenmeyer ne quittait pas le Parc des Princes enchanté par sa soirée, et convaincu que le PSG était une entreprise susceptible de générer d’énormes profits, François Valloire, ainsi que tous les autres salariés du club pouvaient d’ores et déjà commencer à consulter les petites annonces de l’ANPE. Des consignes d’une cruelle limpidité.

François essayait de ne rien oublier dans son récit, d’évoquer chaque instant. Il y avait eu celui où toute l’eau que sa gorge aurait normalement dû contenir avait déménagé en un clin d’œil pour se retrouver dans son intégralité sur la paume de ses mains, pendant que le banquier marchait vers lui...

Dans les souvenirs de Valloire, Dieter Erlenmeyer s’était approché d’un pas tremblant sur le tapis rouge, passant devant les vigiles comme s’ils n’avaient jamais existé. Le Parisien avait été incapable de lui donner un âge précis. Soixante-dix ans, peut-être ? Sans doute davantage.

Tassé et décharné, l’actionnaire portait un costume trois pièces qui ne laissait aucune place au doute : c’était anglais, sur mesure, et hors de prix. Ses chaussures, à faire pâlir d’envie jusqu’à Roland Dumas devaient bien à elles seules valoir plusieurs mois de salaires d’un responsable des relations publiques moyen. Son visage, percé de deux yeux délavés était juché sur une paire d’épaules si maigres qu’on eût dit que le moindre coup de vent pouvait les briser en morceaux. Mais il émanait de sa personne l’inflexible autorité de ceux que la vie avait habitués dès l’enfance à voir toutes leurs exigences remplies dans l’instant. Sa bouche évoquait plus une fine ligne blanche qu’autre chose, et François préférait ne pas tenter d’imaginer à quoi elle ressemblerait si M. Erlenmeyer se mettait à sourire. A dire vrai, personne ne pouvait imaginer Dieter Erlenmeyer en train de sourire...

Rassemblant le peu de courage qu’il lui restait, le salarié du PSG avait tendu une main moite en direction du haut-dirigeant de la banque américaine :
- Monsieur Erlenmeyer, je suis François Valloire. C’est un honneur de vous recevoir enfin pour votre première venue ici !
- Oui. En effet, répondit l’actionnaire en glissant une main flasque et glaciale dans celle du pauvre Parisien. C’est un honneur. Pour vous.
Agréable, ça commence bien, avait songé le responsable parisien... Erlenmeyer avait ensuite jeté un regard circulaire autour de lui, avant de reprendre, d’une voix atone :
- C’est donc cela, le Parc des Princes ?
- Oui monsieur. François se souvenait de son soulagement, alors qu’il pouvait embrayer sur son laïus habituel, et se raccrocher à un thème qu’il maîtrisait. Aujourd’hui encore il pouvait répéter son discours au mot près :
- C’est une oeuvre de l’architecte Roger Taillibert, datant de 1972. Cet architecte a également construit le siège social où nous nous trouvons actuellement, trente ans plus tard. Le Parc des Princes est le premier stade à bénéficier d’un éclairage intégré dans le toit et non monté sur pylônes. Grâce à sa structure de béton armé et à ses portiques en porte-à-faux, il évoque...
- Une vieille coquille d’insecte crevé sur le dos, l’avait coupé Erlenmeyer d’un ton sec. Quant à votre siège social, on dirait une palourde en tôle ondulée. Ridicule.
Décontenancé, Valloire avait alors cherché du regard une aide extérieure qui n’était jamais venue, un tic nerveux lui déformant la joue gauche. En désespoir de cause, il avait dû se résoudre à tenter le gloussement poli...
- Des images peu orthodoxes, monsieur, mais très amusantes. Spirituelles. Mais vous me permettrez de...
Ne prenant même pas la peine de l’écouter, l’actionnaire s’était alors dirigé vers les escalators, laissant le responsable parisien figé sur pied.

François revivait en boucle toutes ces humiliations depuis cette affreuse soirée. Il ressentait encore son malaise avec une netteté blessante, des jours après. Et devoir le raconter une nouvelle fois n’arrangeait rien à l’affaire.

C’était à ce moment précis, alors que Erlenmeyer laissait Valloire en plan, qu’un homme entre deux âges, affublé d’un attaché-case marron, avait glissé à l’oreille du Parisien médusé :
- Ces images n’ont rien d’amusant. D’ailleurs M. Erlenmeyer ne plaisante jamais. S’il dit que ça lui fait penser à une palourde, c’est que ça lui fait penser à une palourde, point final. Mais vous vous habituerez, avec le temps. Je suis Waylon, secrétaire particulier de M. Erlenmeyer. Dépêchez-vous, il va nous attendre, ça va le mettre de mauvaise humeur.
François Valloire avait jeté un regard vers le haut de l’escalator. Comme il apercevait l’actionnaire américain inspecter de haut en bas la tenue du serveur placé à l’entrée du salon VIP avant d’en critiquer la couleur à haute voix ; l’inquiétude et la surprise marquaient ses traits.
- Ah, parce que là il n’est pas encore de mauvaise humeur ?

Et la suite avait été du même acabit. Après que François ait monté quatre à quatre les marches, il s’était rendu dans la salle de réception afin de présenter l’actionnaire aux dirigeants du club. Présentations qui s’avérèrent aussi gênantes que dans le pire cauchemar du responsable des relations publiques. Non, merci pour cette flûte, mais M. Erlenmeyer n’aimait pas ce genre de champagne... Du Cristal de chez Roederer, et l’autre n’aimait pas ça ? Autant lui boire sa flûte, mince, au prix de la bouteille ! Valloire avait ensuite essayé de mettre l’Américain en relation avec une des charmantes demoiselles que comptaient toujours ses réceptions, sa marque de fabrique...
Echec complet. Et re-flûte de champagne, histoire de se donner du cœur.

Après tout, François n’était pas du genre à se décourager pour si peu. Esprit ouvert et pragmatique, Valloire tenta alors le coup de la présentation avec un charmant damoiseau. On ne sait jamais, le PSG parrainait bien le club du Paris Foot Gay !
Re-échec cuisant, mais ce coup-là avec oeillade meurtrière en prime. Diable...

Le moral déjà atteint, le responsable des relations extérieures avait carrément reçu le coup de grâce quand il s’était entendu répondre que les petits fours de chez Le Nôtre faisaient trop mal aux dents pour que M. Erlenmeyer les mangeât. Que voulez-vous proposer à quelqu’un qui n’aime ni boire, ni manger, et ne s’intéresse plus ni aux filles, ni aux garçons, s’était demandé François, reprenant un peu de champagne ?
- De la rentabilité !
- Pardon ?, avait sursauté le Parisien, se retournant vers Waylon, l’assistant. Vous disiez ?
- Vous aviez l’air de vous demander ce qui intéressait M. Erlenmeyer, répondit Waylon, toujours accroché à son attaché-case marron. Alors je vous répondais : ce qui l’intéresse c’est la rentabilité... Et les centres commerciaux ! Essentiellement parce que c’est très rentable d’ailleurs...
- Je crois que je commence à comprendre, avait répondu Valloire entre deux gorgées.

Le discours de Valloire devenait de moins en moins évident. L’alcool avait dû lui troubler l’esprit le soir du match. La fin des évènements lui revenait difficilement. Il se souvenait bien avoir pensé à Gabriel Heinze, histoire de se remotiver un peu : l’Argentin abandonnait-il en route ? Non. Baissait-il les bras dans la difficulté ? Non.
Mais tout de même...

Valloire avait alors tenté de reprendre les choses en main avant le coup d’envoi. Il se revoyait courir s’assoire aux côtés d’Erlenmeyer et court-circuiter ainsi l’assistant aux lunettes monture sixties et à l’inamovible mallette cabine. En y repensant, c’était peut-être là qu’il fallait rechercher sa mauvaise décision. Mais sur l’instant, animé par la grinta de Gaby, il avait cru bien faire...

Alors que le speaker allait annoncer les compositions des équipes, François s’était donc jeté sur le fauteuil voisin de celui de l’actionnaire et avait commencé à lui présenter les différentes tribunes :
- M. Erlenmeyer, permettez-moi de vous montrer ceux qui font du Parc ce qu’il est vraiment : nos fans. A votre gauche, le Virage Auteuil. Les banderoles que vous voyez portent les noms des groupes de supporters. On appelle cela des bâches. A droite, c’est le Kop of Boulogne. Historiquement, c’est la première tribune à avoir accueilli une association.
Pendant ce temps, la sono grondait : Et maintenant, la présentation des équipes !
- Il n’est pas très rempli votre Kop de Boulogne, là. Et en ce qui me concerne, un siège vide, c’est de l’argent perdu !
François avait un peu tiqué, sentant sa joue se contracter nerveusement, de nouveau. Comment voulait-il que les tribunes soient pleines, alors que ce PSG – Lorient était programmé mi-août, en semaine ?
- Euh... Mais certains abonnés sont en vacances, avait-il répondu. Ces sièges vides ne représentent pas forcément autant de places invendues...
On commence par l’équipe de Nantes !!!
- Mouais, avait répondu le banquier, dans un rictus. Sauf qu’ils auront du mal à nous acheter des hot-dogs s’ils ne sont pas là, vos supporters... Pour les rentrées d’argent des buvettes, c’est râpé... Mais bon, au delà de ça, pour nous autres investisseurs, l’objectif c’est aussi que les fans donnent une bonne image du groupe, de l’entreprise PSG.
- Alors là, l’avait rassuré François, c’est garanti. L’an passé, même relégable le club a toujours été soutenu. Jamais les fans n’ont lâché, et...
Numéro 16, et gardien de but...
- Non, avait coupé Erlenmeyer, je parle de fair-play. Pour nous, le PSG doit donner l’image d’un club respectueux de ses adversaires. Vous comprenez ?
Quand François essayait de se rappeler les détails, c’était là qu’il plaçait le moment où son oeil gauche s’était mis à papillonner...
- Euh... C’est-à-dire que là...
- Un public courtois, si vous voyez ce que je veux dire, avait précisé Erlenmeyer.
Le responsable des relations du PSG voyait très bien. Trop bien même...
Fabien... Audard !!!
... ENCULÉ !!!

Oh, François avait bien eu conscience que son sourire s’était crispé alors que le banquier se tournait vers lui, pour le dévisager. Seulement voilà, parfois les évènements vous dépassent.
- Mais, Valloire ! Qu’est-ce que ?...
Numéro 2, Mickaël... Ciani !!!
ENCULÉ...

Le Parisien avait ouvert la bouche, cherché une explication...
Numéro 3, Marc Boutruche !!!
ENCULÉ !

... avant de juger plus opportun de garder le silence, et de reprendre une gorgée de Roederer. Jusuq’à ce jour, il n’avait jamais remarqué que la présentation de l’équipe visiteuse était aussi longue...

Pour le bien de l’enquête, François essaya de rassembler les bribes de discussions qu’il parvenait encore à extraire de sa mémoire. Mais tout devenait si flou... Il y avait bien eu l’échange sur Pauleta. Valloire avait été tellement soulagé quand le Portugais avait ouvert le score...
- Vous voyez M. Erlenmeyer, je vous avais bien dit qu’avec un buteur de la trempe de Pauleta, le PSG allait prendre l’avantage !
Mais son entrain avait encore une fois été vite douché par le banquier :
- Ce gars là, finalement, il n’y a que lui qui marque des buts dans votre équipe ?
- On ne peut pas dire ça monsieur, mais c’est vrai qu’il a souvent fini meilleur buteur du PSG, voire de la L1, oui, avait répondu François, non sans fierté.
- Et donc c’est lui que votre coach ne fait jamais jouer parce qu’il veut le vendre, c’est bien ça ?
Uuuh... Comment voulez-vous tenir dans ces conditions-là sans en boire une autre, vous ?

Après, il y avait eu les commentaires sur Armand :
- Vous avez bien fait de refuser de le vendre à Lyon celui-là. L’ailier lorientais, ce Demont, il aurait été embêté face à un vrai latéral.
Un joueur qui avait prolongé au PSG alors que l’OL lui offrait un pont d’or ! Et cette saleté de tic qui lui donnait si mal à la tête pendant ce temps-là... De toutes façons, les joueurs y étaient tous passés, les uns après les autres.
Luyindula : « Ah, tiens, il est sur le terrain celui-là ? Je croyais que votre entraîneur l’avait sorti il y a dix minutes. Mais il est au courant qu’il a le droit de toucher le ballon ? »
Frau : « Je veux bien que son vrai poste ce soit attaquant et pas milieu droit, mais tout de même, les buteurs aussi devraient savoir faire une passe, non ? »
Etc.

Rien que d’en reparler, François sentait sa mâchoire se contracter.

Finalement, seul Gallardo avait été épargné. Quand ce dernier avait tenté sa super combinaison sur le coup-franc plein axe en fin de match, toute la tribune VIP avait retenu son souffle, Erlenmeyer y compris. Là, François y avait cru. Marcelo avait pris son élan, regardé à gauche subrepticement, anticipant l’appel de Diané seul dans la surface. Le responsable parisien croisait les doigts, debout. Le gardien Audard, signalait du gant le buteur du PSG, mais c’était déjà trop tard : Gallardo avait déjà frappé le ballon, et... rien.
Un tir foiré. Ou même pas. Une passe. Molle.

Le cuir avait roulé, délicatement, jusqu’au mur lorientais, qui avait pu s’en emparer avant de dérouler une contre attaque hyper dangereuse. Les Bretons avaient eu la politesse de ne pas trop rire sur le terrain. Quant à Erlenmeyer, il s’était contenté de regarder Valloire en hochant la tête.

La suite, avoua-t-il, ce sont les collègues du Parisien qui la lui avait racontée. Si les versions divergeaient sur quelques points de détails, l’essentiel de la chronologie semblait connue. François s’était mis à saigner du nez lorsque Lorient avait pris l’avantage, pour perdre l’usage de son bras gauche et de la moitié de son visage quand l’arbitre avait sifflé penalty à la 84ème. D’après les psychiatres de l’hôpital, c’était le mélange stress-champagne...

Ensuite, les choses s’étaient réellement gâtées quand le score était passé à trois à un. Erlenmeyer avait demandé si Landreau n’arrêtait vraiment que les penalties de Ronaldinho et François avait craqué. D’après tous les témoins, il avait essayé le lui jeter son plateau repas au visage, tout en le traitant de connard d’Amerloque. Ou en lui intimant de fermer sa gueule de vieux schnock, ça dépendait des témoignages... Juste avant son évanouissement, il semblait que la paralysie faciale de François ait rendu ses propos très délicats à saisir.



Dès sa sortie de l’hôpital, quelques jours de repos plus tard, le responsable des relations publiques s’était donc rué au siège du club, pour donner sa version des faits.

Prostré dans le fauteuil de cuir noir, François, la moitié gauche de la bouche encore légèrement envahie de bave essayait toujours de plaider sa cause. Peut-être lui restait-il encore une chance de conserver son boulot ?
- Mais je vous jure M. le président, je vais me ressaisir. Laissez-moi ma chance M. Cayzac, je vous en prie, je suis fait pour ce travail ! Les relations publiques c’est mon truc. Tout ça ne se reproduira plus.
Ses lunettes de soleil destinée à cacher les cernes causées par les calments empêchaient François d'analyser avec certitude la réaction du Président du Paris Saint-Germain. Il continuait donc, au cas où :
- Tenez, je suis sûr que M. Erlenmeyer a déjà tout oublié. Pour me faire pardonner, je lui ai même fait un cadeau. Un vieux maillot du PSG, un vrai, porté par un joueur lors du match PSG – Valenciennes de 1974, celui de la montée en L1 ! Une rareté.
Un silence gêné pesa sur la pièce...
- Peut-être que si vous n’aviez pas essayé de l’étrangler avec son écharpe PSG j’aurais pu faire quelque chose pour vous François, mais là, vraiment...


Prochain épisode (début septembre) : La rentrée d’Adrien
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« Répondre #3 le: 06 Septembre 2007 à 16:18:49 »

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Résumé des épisodes précédents : Adrien vit avec son cousin et sa tante. Afin de payer leurs vacances d’été, cette dernière a choisi de vendre un maillot du PSG datant de 1974, qui appartenait au père d’Adrien. Achetée par François Valloire, ancien responsable des relations publiques du PSG, la précieuse tunique appartient désormais à Dieter Erlenmeyer, actionnaire du club.

La rentrée d’Adrien


Après avoir subi le fameux « réveil par cris hystériques » de sa tante Jeanne, avec environ quatre heures d’avance sur l’horaire officiellement recommandé par son horloge biologique ; après avoir dû supporter tout au long du trajet de bus la conversation de son cousin Brandon lui racontant pour la 832ème fois depuis la fin de France2 Foot comment les Lyonnais avaient réussi à battre les Manceaux en sept minutes, malgré deux buts de retard ; après avoir grimpé à la seule force de ses jambes des escaliers recouverts d’un linoléum verdâtre -bon sang, grimper des escaliers dès le matin !!!-, puis être rentré dans une salle remplie de posters défraîchis vantant les mérites du flamenco et des paysages andalous qui piquent les yeux, Adrien dû se résoudre à accepter la triste réalité : les cours n’avaient même pas commencés que déjà cette nouvelle année scolaire le soûlait.

Son pilote automatique activé, Adrien détecta une place stratégique encore libre, à côté d’un inconnu maigrissime. Le plus difficile fut de traîner ses Converse ramollies jusqu’à la table du fond. Mais ensuite, Adrien s’étala sur son siège pour profiter enfin d’un repos bien mérité.
Enfin tranquille...

- Casquette ! Vous allez me faire le plaisir de la retirer. Immédiatement.

Comme il laissait glisser son jean le long de l’assise extra-dure, pour adopter une position la plus proche possible de l’horizontale, et alors que ses omoplates raclaient contre le bois, Adrien poussa un gémissement plaintif. Ils n’avaient toujours pas investi dans des chaises dignes de ce nom depuis juin dernier...

- Jeune homme, je disais, « CASQUETTE ! » !!!

Reflex n°1 de l’emmerdage en cours, Adrien jeta un coup d’œil par la fenêtre. Il faisait à peu près beau. Injustice chronique de la rentrée : pas un jour correct depuis qu’ils étaient rentrés de vacances, ou presque, et aujourd’hui, évidemment, ciel bleu. Non pas qu’en temps normal Adrien ressente l’envie de sortir folâtrer dehors, mais là, enfermé pour dix mois ferme dans une salle de classe, le soleil était trop tentant.

- EH ! Non mais tu te crois où là ?

Etonnant ce que l’on pouvait être mal assis dans ce bahut tout de même. Le dossier lui blessait les côtes par intermittence, comme si on lui donnait des coups de coude vicieux. Mais alors un coude particulièrement osseux et pointu. Intrigué par cette douleur persistante, Adrien jeta un coup d’œil sur le côté et s’aperçut que son voisin décharné était effectivement en train de lui bourrer le flanc de coups peu discrets, tout en lui indiquant le tableau à l’aide d’un os de poulet décharné.
À moins qu’il ne s’agisse de son index...

Levant la tête dans un effort mobilisant l’essentiel de ses capacités musculaires disponibles à une telle heure du jour, Adrien regarda dans la direction pointée par son silencieux acolyte. Debout sur l’estrade, entre une photo de la cathédrale de Barcelone et une affiche de corrida, un type au visage rougeaud et au crâne chauve s’agitait en hurlant :
- Mais tu vas me la retirer cette casquette !?!

Aïe... L’ensemble de ses passages dans de trop nombreux anciens bahuts avaient appris à Adrien quelques rudiments de la survie en milieu scolaire. Et notamment qu’il était inutile de tenter de répondre quoi que ce soit à un prof d’Espagnol quand ce dernier avait atteint ce coloris rouge-violacé typique. Surtout quand le gars en question arborait un ensemble pantalon de velours avec sous pull col roulé lycra, certifiés collection catalogue CAMIF automne-hiver 1984. Se justifier ne pourrait qu’aggraver la situation. Adrien ôta donc son couvre-chef fétiche et pris un air contrit.

- ...mais en vingt-sept ans de carrière j’en ai maté des pires que toi, moi ! Tu vas avoir le temps de comprendre qui commande ici mon ami. J’aime autant te dire que...

La stratégie consistait ensuite à regarder son bureau, le temps de laisser passer l’orage, ce qu’Adrien s’empressa de faire : le jour de la rentrée, ces profs avaient besoin d’une victime expiatoire. Une cible facile qui puisse leur servir d’exemple, juste histoire d’instaurer un semblant d’autorité. Et prouver qu’ils étaient capables de gueuler sur quelqu’un qui n’a de toutes façons pas le droit de leur répondre, comme si c’était un exploit.
En mode Tatayet, histoire de ne pas en rajouter, Adrien souffla un reproche du coin des lèvres, direction la chaise de droite :
- Dis donc, t’aurais pu me prévenir qu’il en avait après moi !
Interloqué, le voisin se tourna vers Adrien, se contentant de le regarder, sans répondre.
- Parce que me filer des coups de coude c’est bien gentil, continua Adrien, mais bon, une phrase ça va quand même plus vite !

- ... le tout dès le premier jour ! Quand on est malin, le premier jour on essaye au moins de passer inaperçu jeune homme ! Et je dis « on essaye » parce que vu votre comportement, je doute que...

Toujours pas de réponse. Ce voisin famélique commençait à agacer Adrien. Tournant légèrement ses jambes, il lui fila un petit coup de pied dans la cheville, sous la table.
- Hè ! Tu pourrais avoir la politesse de répondre au moins !
- Que je te parle ?, rétorqua le voisin d’une voix abominablement grinçante, fixant Adrien de ses yeux cernés. Deux yeux qui semblaient comme enfoncés dans ce visage trop anguleux. Comme tu l’entends, c’est pas ça qui t’aurait aidé...
- Bah quoi ?, s’interrogea Adrien, décidant de passer sous silence l’accent rocailleux du gars qui avait eu la politesse de lui rendre son coup de pied aussi discrètement que possible. Pourquoi ça m’aurait pas aidé que tu me préviennes que l’autre hystérique avait décidé de passer ses nerfs sur moi ?

- ... alors laissez-moi vous dire que ça vous changer : cette année vue la difficulté du programme, si vous vous comportez ainsi c’est mort ! Dès septembre je peux vous le dire, continuez comme ça et...

Adrien vit le visage de son compagnon d’infortune se décomposer :
- Quoi ? Tu me comprends ?
Le lycéen semblait stupéfait.
- Mais ?, continua-il, alors que les veines de son cou palpitaient : Personne ne me comprend jamais d’habitude ! A cause de l’accent... C’est pour ça que je ne t’ai rien dit quand l’autre t’a repéré.
Adrien grinça des dents.
- Sûr que c’est pénible à entendre. Surtout les « R » en fait : on dirait que tu frottes tes ongles contre une vitre. Mais sinon ça reste compréhensible je trouve.
Visiblement très excité d’avoir enfin trouvé à qui parler, le voisin continua :
- Je me présente : Crijstôf.
- Christophe ?
- Non, non : avec un accent circonflexe sur le « o ». Crijstôf. C’est un nom très répandu dans mon pays : je viens de Tsergovie.
Adrien battit des cils, et chercha à éviter d’avoir à répéter ce prénom, convaincu qu’il ne parviendrait jamais à le prononcer correctement. Tout de même... la Tsergovie ?!?
- Enchanté. Moi c’est Adrien.

- ... directement un rapport écrit. Rapport qui vous suivra dans votre dossier ! Vous pouvez me faire confiance, je n’hésiterai pas. D’autant que...

Crijstôf pointa les doigts vers la casquette, retournée sur la table.
- Fais voir l’objet du délit !
Sa bouche s’entrouvrit pour laisser passer ce qu’Adrien imagina être l’équivalent Tsergovien d’un grognement approbateur.
- Ah, PSG... Au moins c’est le bon club !
- Toi aussi, tu es fan ?
- Tu parles ! Je suis même abonné, avec mon grand frère.
Souriant largement, ce qui donnait à Adrien l’impression de discuter avec un crâne décharné, le Tsergovien entreprit de soulever discrètement son pull :
- Tu devrais faire comme moi : le maillot c’est mieux en cours. Je sais pas trop pourquoi, mais vos profs semblent allergiques aux casquettes ici.
Adrien regarda son voisin d’un air abattu :
- Je sais bien, mais la mienne c’est une casquette porte-bonheur. Et puis j’aimerais bien pouvoir le porter mon maillot. Un maillot collector en plus !

- ... votre classeur petit format. Et ne venez pas m’expliquer qu’il n’y a plus d’intercalaires rouges pour la grammaire, j’en ai vu ce matin même à Carrefour. Seulement évidemment, si vous attendez le dernier moment il ne faudra pas venir me dire que...

- Je vois pas ce qui t’en empêche ? répondit Crijstôf dans crissement de gonds rouillés.
Adrien hocha la tête d’un air approbateur : parvenir à grincer des dents avec une telle discrétion devait demander une longue pratique. Respect pour tous les écoliers de Tsergovie...
- Le souci c’est que ce maillot, je ne l’ai plus. C’est un peu compliqué.
- Fais-toi plaisir, raconte-moi ça ! On a le temps de toutes manières.

Adrien déballa donc toute son histoire. La distribution des carnets de correspondance (que vous devrez toujours avoir sur vous sous peine de sanction) passa alors qu’il déclamait en détail le pedigree de la fameuse tunique, avec datation, remise dans le contexte de 1974, et description détaillée de la manière dont son père en avait hérité. Le recopiage laborieux d’un emploi du temps provisoire et incompréhensible, avec groupes de modules, de TP, de langues et d’atelier (non, j’ai dit de le recopier au crayon à papier ! tu ne sais pas ce que c’est qu’un crayon à papier ?) fut consacré à la narration des circonstances dans lesquelles Adrien avait appris la revente du maillot. Et enfin, l’aller retour au CDI pour s’encombrer d’une pile de livres propre à démembrer quiconque voudrait la transporter en une fois (comment ça vous ne savez pas si vous faites Allemand ou Anglais ? Mais ? Évidemment que ce n’est pas le même manuel !), passa avec le listage exhaustif de toutes les engueulades consacrées à l’obtention d’un nom : celui de l’homme ayant acheté le maillot à tante Jeanne sur e-bay.

- Et alors ? Tu ne l’as pas retrouvé le gars ?
Adrien secoua la tête.
- J’ai son nom, mais impossible de trouver son adresse. Il est venu chercher le maillot chez nous, il a payé en liquide et il est sur liste rouge.
Crijstôf posa ses livres sur une table que des générations de lycéens avaient patiemment sculptée, l’ornant de motifs testiculaires et/ou insultants.
- Alors c’est mort. Je vois pas ce que tu peux faire d’autre...
- Non, non, ça se complique mais c’est pas fini : je connais son boulot. J’ai fait une recherche Internet à partir de son nom. Tiens-toi bien, le gars bosse pour le PSG !

- ... remplir consciencieusement la fiche distribuée avec les manuels. Je vérifierai lundi si vous les avez couverts et j’aime mieux vous dire que ceux qui ne l’auront pas fait...

- Comment tu dis qu’il s’appelle déjà ton employé du club ?, interrogea Crijstôf. François Valloire ? Bizarre. Ca me dit rien pourtant...
Plus intéressé par son histoire que par le remplissage de la fameuse fiche d’état des livres que personne ne vérifiait jamais, Adrien colla toutes les croix dans la rubrique « livre détérioré ». De toutes manière, si cela ne correspondait pas encore à la réalité, il se doutait bien qu’une année scolaire suffirait à lui donner raison.
- Pas étonnant que tu ne le connaisses pas, dit Adrien. C’est un administratif : responsable des relations extérieures. Ou un truc de ce genre.
- T’as essayé d’appeler le club ?, demanda Crijstôf.
- Bien sûr. Mais je n’ai pas son numéro de poste, et ils refusent de me le passer au secrétariat. Tu connais le stratagème : soit disant qu’il ne travaille plus chez eux, qu’il aurait été licencié.

- ... ordonner tout ça ! C’est incroyable : si vous avez besoin d’une heure pour me ranger vos livres, alors l’année s’annonce mal pour vous. Comment voulez-vous réussir une scolarité alors que...

Crijstôf opina du chef, d’un air entendu. Essayer de faire gober un truc pareil à des supporters parisiens ! Comme s’ils pouvaient croire qu’un club qui verrait revenir Pancrate en juin prochain était capable de virer qui que ce soit ! Bon, à moins d’avoir passé six mois à jouer au poker toutes les nuits avant de traiter le coach de menteur, bien sûr...
- Ben voyons...
- Comme tu dis, acquiesça Adrien. Alors j’ai essayé de joindre tous les services, un par un. Les gars qui s’occupent du site Internet, le département supporter, etc.
- Sauf qu’un responsable des relations extérieures, ça bosse pas au département supporters !
Adrien posa les livres par terre. La pile s’effondra et se répandit jusque sous le siège de sa voisine de devant et il dû se mettre à quatre pattes pour les récupérer. Sa voix, assourdie, parvenait tout de même jusqu’au Tsergovien, resté à la surface :
- Oui, oui. C’est à la cellule recrutement que je suis tombé sur un type qui le connaissait.
- La cellule de recrutement ? Comment t’as pu contacter la cellule de recrutement du PSG, toi ?

- ... des interrogations de cours. Un cours ça s’apprend, et par cœur ! Ici c’est marqué « espagnol », pas « improvisation linguistique ». Alors les rigolos qui croient qu’en rajoutant un « o » ou un « a » à la fin d’un mot...

Remontant à l’air libre, une fois la pile reconstituée, Adrien répondit dans un sourire amusé :
- Je leur ai envoyé un fax fin août, une vieille photocopie bricolée avec le blason de Villareal, comme quoi je voulais acheter Diané sept millions d’euros. Ils sont pas bien malins quand même, un fax envoyé d’Espagne mais avec un numéro qui commence par « 01- »...
- Et alors ?
Adrien se tapota la tempe d’un index indigné :
- Alors finalement je l’ai pas signé. Tu crois que j’ai sept millions à mettre dans un gars qui cadre pas une frappe ? Faut pas rigoler non plus...
Crijstôf garda le silence quelques instants, frottant nerveusement ses mains sèches l’une contre l’autre. Il commençait à se demander si son voisin possédait vraiment toutes ses facultés...
- Non mais pour ton type là, Valloire. Ils t’ont dit quoi ?
- Qu’il ne l’ont pas vu depuis le match contre Lorient. Mais que pour le croiser il suffisait de rentrer dans le salon VIP du Parc des Princes pendant un match. C’est ça son boulot : il reçoit les huiles, la presse et gère tout ce petit monde.

- ...seront notés sur 20. Et ils compteront dans la moyenne ! Pas question de venir m’expliquer que vous avez déjà un autre contrôle dans une autre matière : je ne changerai rien. Si vous révisez au dernier moment, c’est que de toutes manières...

Crijstôf regarda longuement Adrien, qui jouait, satisfait, avec la visière de sa casquette.
- Il suffit de rentrer dans le salon VIP pendant un match ? Ses mâchoires recouvertes par une peau plus fine qu’un parchemin s’entrouvrirent. Non mais t’es malade ? Jamais tu y arriveras !
Adrien, mu par un réflexe, remis sa casquette sur son front :
- Attends, il a fallu que je torture ma tante, après ça j’ai passé ma vie au téléphone pendant une semaine. J’ai même été obligé de parler en espagnol, et maintenant ça fait trois semaines qu’il y a des flics en civil qui patrouillent partout autour du bureau de poste d’où j’ai faxé le précontrat de Diané. Alors non, pas moyen que j’abandonne. Je récupèrerai ce maillot, il est à moi. Tu pourrais m’aider d’ailleurs. T’en penses quoi ?

- ...CASQUETTE ! Bon, là j’en ai marre. Carnet de correspondance, vous deux là-bas !!!

Crijstôf fusilla Adrien du regard.
- Ce que j’en pense ? J’en pense qu’entre les autres qui ne parviennent pas à gagner un match au Parc et tes délires, la saison va être longue...
« Dernière édition: 06 Septembre 2007 à 16:20:55 par Arno P-E » Journalisée

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« Répondre #4 le: 18 Septembre 2007 à 22:21:08 »

Résumé des épisodes précédents : Adrien vit chez sa tante qui a vendu son maillot du collector du PSG. Il sait que l’acheteur, François Valloire, travaillait dans les salons VIP du Parc. Cependant, ce que son camarade Crijstôf et lui ignorent, c’est que Valloire a été viré, et qu’il a offert sa tenue à un détestable actionnaire du club.

ASM-PSG sur RMC


Adrien était assis à son bureau depuis plus d’une heure. Pas un bruit ne filtrait de sa chambre. Dehors brillait un soleil estival. En un tel dimanche après-midi de septembre, d’autres en auraient profité pour aller se faire un petit foot. Mais pas Adrien. Pas aujourd’hui. Penché sur sa feuille, la main crispée sur un stylo bille mâchonné, il noircissait du papier. Sa langue pointait dans un coin de sa bouche, et son front était barré de cette ride qui caractérise les grands esprits mobilisant la quintessence de leurs capacités de réflexion.

Alarmée par une inhabituelle absence d’engueulade entre les deux cousins, tante Jeanne avait jeté un coup d’œil à la fois préoccupé et surtout inquisiteur quelques minutes auparavant dans l’entrebâillement de la porte. Hélas, il lui avait bien fallu se résoudre à accepter l'inimaginable. Tous les éléments concordaient. Silence, position assise au bureau, prise active de notes et concentration maximale... Adrien travaillait. Un dimanche !

Tante Jeanne referma la porte avec moult précautions, afin de ne pas déconcentrer son neveu dans son labeur. Pas question de ruiner cette soudaine et ô combien inattendue passion pour les travaux scolaires. Alors que ses pieds foulaient silencieusement la moquette rose du couloir, tante Jeanne afficha un de ces sourires béats dont sont peuplés les tableaux de la renaissance. Une sainte touchée par la lumière de la révélation peinte par Le Caravage...

Une fois dans son salon, délicieux refuge aux murs ornés de tapisseries consacrées aux chats et aux pompiers, plus quelques dauphins, histoire de, la brave femme s’assit dans son canapé pour y trouver un repos bien mérité. Enfin... Enfin elle était parvenue à faire entendre raison à ce garnement !

Cela lui avait pris des mois, mais elle avait fini par gagner la partie. Etendant ses jambes sur les coussins brodés au crochet, elle entreprit de s’étirer les doigts de pieds. Ah... Comme quoi, quand on instaurait des règles strictes, et surtout quand on les appliquait avec tact mais fermeté, on pouvait tirer quelque chose du dernier des adolescents à problème. Au début, impossible de le faire rentrer dans sa chambre pour bosser ce vaurien. Toujours dehors ou collé devant la télé... Et maintenant ? En train d’apprendre ses leçons, et sans même que l’on ait eu besoin de crier. Voilà le travail.

Il faut dire que tante Jeanne s’était donné du mal. Elle s’était documentée auprès des plus grands spécialistes du mal-être adolescent pour réussir à canaliser Adrien. Le mérite leur revenait à eux aussi, quelque part. Entre deux curages d’ongles à l’aide des touches de la télécommande, la tante en survêtement ressentit une bouffée de générosité. Il lui faudrait envoyer une lettre à son journal télé un de ces jours, pour remercier Super Nanny et le Grand Frère. Ah, les professionnels de l’éducation, il n’y a que ça de vrai.

Plongée entre deux coussins du canapé et dans ses réflexions, tante Jeanne goûtait à un bonheur qu’un petit détail aurait dû réduire à néant. Ou plutôt deux petits détails, collés aux oreilles d’Adrien.

Le supporter parisien, concentré comme jamais, n’entendit les appels venus du salon qu’au bout de leur troisième réédition :
- Adrieeeeen ! Téléphooooooone !
Décrochant les écouteurs de son baladeur-radio, Adrien maugréa. Jamais moyen d’être tranquille dans cette maison quand on avait un truc important à faire ma parole ?
- C’est quiiii ?
- Ton copaiiiinnnn : celui qui parle pas français !

Crijstôf ? Pourquoi Crijstôf l’appelait-il à cette heure-là ? Le Tsergovien était pourtant bien placé pour savoir qu’Adrien serait pris ce dimanche à 17h30 ! Adrien attrapa sa casquette au vol, pas question de quitter sa chambre sans elle, et couru vers le salon pour aller chercher le combiné. L’inquiétude se lisait sur ses traits quand il rejoint sa parente, avachie devant la saga pseudo-historique de M6. Pour que Crijstôf le dérange, il fallait que ce soit grave.
- C’est pas qu’il ne parle pas français, c’est juste que quand il le fait personne ne comprend, c’est tout. Tu me le passes ? Je suis pressé, j’étais en train de faire un truc important..
- Oui, bien sûr mon grand. Tiens, le voilà ! Prends ton temps, tu as bien mérité de faire une petite pause après tout. Aller, va discuter avec ton copain.

De plus en plus inquiet, Adrien attrapa le combiné tout en dévisageant sa tante... « Mon grand » ? Mais pourquoi est-ce qu’elle l’appelait comme ça maintenant ? Quant à cette histoire de pause bien méritée...
- Allô, Crijstôf ?... Bah bien sûr que oui tu me déranges, qu’est-ce que tu crois ?
Adrien se dirigea vers sa chambre, tout en gardant un oeil en arrière. Ce sourire extatique sur le visage de tante Jeanne avait un je ne sait quoi d’effrayant. Peut-être le manque d’habitude ? Il faudrait tout de même qu’il ait avec elle une discussion sur les méfaits de la drogue un de ces jours.
- Alors, pourquoi tu m’appelles ? Allô ?
Après un silence de quelques secondes, Adrien écarta le téléphone de son oreille. Bon sang, et voilà que maintenant Crijstôf se mettait à jurer à l’autre bout du fil ! Des jurons Made in Tsergovie en plus, propre à vous griller les sonotones de toute la population d’une maison de retraite... Et sa tante qui persistait à afficher son air jovial pendant ce temps-là.
- Dis-donc, dit Adrien, si c’était juste pour m’insulter, tu pouvais... Quoi ? Un but de Monaco ?
Le Parisien reprit son souffle, la main sur la poignée de la porte du couloir.
- Mais c’est pas vrai ! Putain j’écoute le match sur RMC depuis une heure et demie, je fais des compos d’équipe en fonction du banc pour voir ce que Paul Le Guen peut modifier... J’ai dû en remplir au moins trois pages de 4-3-3 modulables hyper rusés, depuis que j’y suis, je note les cartons et tout, je suis à fond dans la rencontre et toi tu me fais louper la réduction du score ? Tout ce temps passé à suivre la partie à la radio, et voilà, il faut que tu m’appelles pendant un but toi... Quoi ? Quels hurlements derrière moi ? Non, non, rien de grave, c’est ma tante. Je sais pas ce qu’elle a, elle est bizarre cet après-midi. Je crois qu’elle a pas pris les cachets de la bonne couleur au déjeuner.

Adrien claqua la porte de sa chambre, histoire d’obtenir un minimum de calme. Ce que sa tante pouvait être lunatique tout de même ! C’était pas un signe de bon équilibre psychologique, de s’énerver tout seule, d’un coup comme ça. Sans parler des discours incohérents qui lui parvenaient encore depuis le salon : menacer d’écrire des lettres d’insultes à des animateurs de TF1 et de M6... Des fois, on se demande ce qui peut passer par la tête des personnes fragiles. Bref...

- Crijstôf ? Oui, ça y est, j’ai remis mon écouteur. Mais non j’ai pas Canal + Sport, tu m’énerves. Il paraît que le but est pour Armand ?
- Oui, répondit une voix dont même les pires perturbations de réseau téléphonique ne pouvaient expliquer le côté grinçant, il se baisse sur le coup-franc... Et maintenant les monégasques poussent comme des malades.
Adrien tomba sa casquette.
- Il se baisse sur le coup-franc ? Comment ça il se baisse sur le coup-franc ? Il a de la chance d’avoir marqué en début de partie lui, sinon je te jure... Raaah, ça m’énerve, les commentateurs font que de gueuler, je comprends rien. Il reste combien ?
- Trois minutes. C’est agaçant, on le tenait bien ce match. Et maintenant j’ai l’olive.
- Charmante expression, répondit Adrien. Bon, tu m’appelais pourquoi au juste ? Oh, et toi qui as le chrono à la télé : il reste combien de temps ?
- Tu viens de me le demander ! Ca a pas changé... Oh, et puis je lutte même pas : il reste deux minutes et quarante secondes... En fait je t’appelais parce que ça y est : j’ai trouvé comment faire pour rentrer dans les salons VIP du Parc dimanche prochain !

Adrien retint son souffle. Pénétrer au cœur de la corbeille du stade Rouge et Bleu, et retrouver François Valloire, enfin ! Le maillot était à portée de main. La semaine prochaine !
- T’es sûr ?
- Oui, oui. Un plan d’une simplicité désarmante. On aura juste besoin d’un peu de matériel, mais ça va marcher tout seul.
Le Tsergovien semblait si confiant et enthousiaste qu’Adrien en eut des frissons.
- Le temps ?
- Pas d’importance : mon plan fonctionne quelle que soit la météo.
- Mais non ! Le temps qu’il reste bon sang ! J’ai essayé de me connecter à Internet mais le fil info de foot365 est décalé de je ne sais combien de minutes, c’est une horreur. Pour eux on mène encore 2-0, alors tu imagines...
- Ach, oui, le temps... Trois minutes d’arrêts de jeu. Heureusement que Landreau a remis à zéro sa dose de réussite en équipe de France, parce que là c’est dur...
- Je sais bien que c’est dur, répondit un Adrien au bord de l’apoplexie. Les gars de RMC sont en train de me détruire le seul tympan que tes chuintements me laissaient indemne !
- Désolé. C’est l’accent... Chez nous on doit appuyer les sifflantes et...
- Crijstôf... Je m’en fous. Le temps !
- Restent deux minutes. Sinon, pour mon idée, je disais que j’aurais besoin d’un petit peu de matériel....
- Ah oui ? dit Adrien davantage concentré sur sa montre et les hurlements hystériques des gars de Monte Carlo que sur la logistique de Crijstôf. Quel genre de matériel ?
- Oh, pas grand-chose... Deux téléphones portables, pour commencer...
- Ca, ça va... Et puis ?
- Une corde d’escalade pouvant supporter ton poids. Une dizaine de mètre de long je dirais.
- Quoi ? Une corde ? Mais t’es malade : où tu veux que je trouve ça ?
- On a une semaine, ça ira... Ensuite, un casque de chantier, pour moi...
Un silence pesant s’installa entre les deux supporters. Adrien préféra ne pas le briser.
- Non, mais c’est bon, par mon frère je pourrai m’en dégotter un. T’en fais pas...
- Crijstôf, tu te rends compte que je suis un peu inquiet là ?
- A cause du match ? Je te rassure, c’est fini : ça y est, on a gagné !
- Non, je suis inquiet à cause de ton plan casqué... Je préfère même pas essayer de l’imaginer, je sens que ça va me gâcher cette superbe victoire obtenue avec les tripes en terre ennemie...
- Non, non, aucun souci, je t’assure. Ca va rouler tout seul ! Après ça, on a presque besoin de rien d’autre. Tranquilles, je te dis.
Adrien fusilla le combiné du regard, comme si son interlocuteur pouvait en profiter.
- Comment ça « presque besoin de rien d’autre » ? Il faut que je trouve quoi à part les téléphones et la corde ? Non mais qu’est-ce que c’est que ton histoire, au juste ?
- Un détail. Facile. Pas de problème...
- Crijstôf !
Adrien entendit le Tsergovien prendre une grande bouffée d’air, avant de lancer sa tirade :
- Il faudrait juste que l’on apporte devant le Parc des Princes une petite vingtaine de fumigènes... Allô ? Allô... Adrien ? Bah quoi ?
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« Répondre #5 le: 29 Septembre 2007 à 21:55:03 »

Résumé des épisodes précédents : Adrien veut à tout prix récupérer le maillot collector que sa tante a vendu à F. Valloire, ancien salarié du PSG. Son ami Crijstôf a trouvé un stratagème investir le salon VIP, lors de PSG – Bordeaux, et rencontrer Valloire. Seul problème, pour cela il faut approcher le Parc avec une vingtaine de fumigènes...

Adrien, mal assis devant la porte de sa rame bondée contempla pensivement son sac à dos pendant que les stations de métro de la ligne 9 défilaient. L’objet, la panse bien remplie, reposait sur ses genoux. Le bon sac du lycéen modèle, la besace que l’on aurait juré remplie de trousses, cahiers, livres et autres ustensiles indispensables à la survie en milieu scolaire... Sauf qu’en l’occurrence Adrien n’avait rien de la dégaine du bon élève se rendant en cours, et le contenu du sac aucun rapport avec ce qu’un lycéen doué de raison transporterait au bahut.

Sa casquette élimée sur la tête, un maillot du Paris SG de la saison passée floqué Kalou sur le dos (comme quoi on n’est pas tous bien inspirés lorsqu’il s’agit de répondre à une question pourtant simple, du genre « bon, je vous mets quel nom alors ?... »), Adrien avait sur le visage l’expression de celui qui prépare un mauvais coup, et que sa mauvaise conscience travaille.

Ne pas connaître dans son intégralité le plan censé l’amener au cœur du salon VIP, ça Adrien aurait pu le gérer... si justement il n’avait pas été mis au courant de la partie émergée de l’iceberg ! Et quelle partie : pour le faire rentrer dans les loges, l’opération mise sur pied nécessitait le craquage d’une bonne vingtaine de fumis aux abords immédiats du Parc des Princes. Fumigènes auxquels il faudrait donc bien faire franchir les cordons de police, par un moyen ou par un autre. D’où le sac du gentil écolier, et la vague inquiétude.

Assis sur le strapontin d’en face, qui était lui aussi en simili skaï, et probablement lui aussi barbouillé par ce que la première étude clinique venue authentifierait comme étant l’urine d’on ne sait combien d’êtres humains, Crijstôf paraissait bien plus détendu que son compère. Le fait que lui ne transportât pas de sac avant d’approcher du stade y était sans doute pour beaucoup...

La rame stoppa à Exelmans, et les deux acolytes rentrèrent les genoux pour laisser passer le flot d’usagers de la RATP sans avoir à se lever. Tordant le cou pour apercevoir Adrien serrant toujours son sac contre sa poitrine, Crijstôf tenta de réchauffer l’atmosphère.
- Mais ne t’inquiète pas, j’ai tout prévu... Ca va bien se passer cette histoire de fumigènes ! Tu vas le rencontrer ton François Valloire. Et ce soir, tu auras retrouvé ton maillot !

Dans un sursaut, la voisine d’Adrien, piercée de partout retira les écouteurs de son baladeur, puis les tapota d’un index verni de noir, une expression inquiète assombrissant ses beaux yeux déjà largement cerclés de khôl. Après les avoir longuement inspectés, puis s’être livrée à divers tests de volume, les approchant prudemment de ses tympans, la gothique entreprit enfin de remettre en place ses écouteurs, sans réussir à s’expliquer la provenance de la stridulation qui lui avait vrillé le crâne.

- Ben voyons, répondit Adrien en palpant le tissu rebondi. Facile à dire, c’est pas toi qui porte tout ça avant de t’apprêter à franchir je ne sais combien de barrages de police !
- Arrrh, acquiesça Crijstôf dans un crissement caractéristique de la langue tsergovine, faisant de nouveau bondir la jolie goth dans un petit cri de surprise. On en a déjà parlé, il fallait bien que l’un de nous deux le porte ce sac. Et puis tu passeras peut-être sans te faire fouiller après tout ?
Adrien ne réagit pas...
- Oh, et zut à la fin ! On a joué, et tu as perdu !
- Bravo, belle mentalité... On a choué et du a berdu, singea Adrien, désagréable. Evidemment que j’ai perdu, qui pouvait imaginer qu’Edouard Cissé ne marquerait pas contre l’OM en ligue des champions ? Normalement il leur claque un but par an, et là quand je parie sur lui, ce naze reste muet.
- Le monde se sépare en deux catégories : il y a ceux qui ont la classe, qui savent anticiper, et il y a ceux qui portent le sac devant les flics. Toi, tu portes le sac. C’est cruel, mais c’est comme ça...
Adrien jeta un regard noir au Tsergovien, pendant que sa voisine décidait de migrer à l’autre bout de la rame, jetant à Crijstôf un regard apeuré.
- Il se calme Sergio Leone, là ? Attends, mais même Traoré est devenu bon depuis qu’il a quitté Paris. Pourquoi ça aurait pas marché avec Cissé, hein ? C’était logique comme choix pourtant...
- C’est sûr !, répondit Crijstôf alors qu’ils se levaient pour attendre devant la porte encore fermée. N’empêche que grâce au Doud’ moi je vais affronter les barrages l’âme sereine !

Adrien descendit sur le quai de la station Porte de Saint-Cloud. A la fois énervé par l’évocation du pari perdu, et stressé par son sac à dos il choisit de garder le silence. Crijstôf continua donc la conversation tout seul, dans un monologue qui tenait tous les autres usagers du métro à plus de cinq mètres de distance. Ses explications sur la qualité du jeu de Cissé effrayèrent ainsi tour à tour les chevaux d’une patrouille de la police montée, quand les deux supporters sortirent de terre devant l’église Sainte Jeanne-de-Chantal, un couple de supporters bordelais qui quittaient la brasserie Les Princes, et les quelques gars qui faisaient la queue devant la boutique d’écharpes et de maillots située juste avant le barrage de la place Jules Rimet, au pied des tribunes H, I et J du Parc. Ce n’est qu’une fois arrivés à la fin du troupeau de supporters Rouge et Bleu agglutinés devant ce barrage de police qu’Adrien reprit la parole :

- Toujours autant de monde ici, hein ?
- Ouais, c’est pénible.
- J’arrive pas à comprendre pourquoi ils se ruent tous sur ce passage là. En plus on est juste à côté du Périph’, on ne s’entend pas. Vraiment, c’est le plus désagréable.
Alors qu’Adrien poursuivait son chemin, tournant à droite dans une rue qui s’éloignait du stade, Crijstôf cru bon de revenir à un autre sujet :
- Mais de toutes façons, quoi qu’il arrive, au bout du compte tu es obligé d’ouvrir ton sac devant les policiers. Alors qu’est-ce que ça change ?
- Ca change que là, dit Adrien en tournant rue Maginot, devant un marchand de fruits et légumes, là au moins on est à la rue suivante, il y a un barrage... et on ne fait pas la queue parce qu’il n’y a personne ! Quitte à avoir des problèmes avec les forces de l’ordre, autant que ce soit sans avoir fait le pied de grue auparavant. Hé ! Peut-être que si on continue à parler, l’air de rien, on pourra se faufiler sans être...
- Monsieur !... Monsieur, vous ouvrez votre sac s’il vous plait ?

Bien qu’il s’y soit préparé depuis des jours, et bien qu’il l’ait ressassée durant tout le trajet en métro, Adrien ne put s’empêcher de frissonner en entendant cette phrase. Alors que Crijstôf l’attendait, déjà passé de l’autre côté des barrières métalliques, Adrien fit glisser les bretelles de ses épaules, et tendit le sac à un CRS moustachu et patibulaire. Pléonasmes s’il en est.
- Allez-y !, dit Adrien en enfonçant sa casquette sur ses yeux. Moi je préfère ne pas regarder...
Aussi intrigué qu’un CRS puisse l’être, c’est-à-dire parfaitement impassible, le moustachu empoigna le sac et ouvrit la fermeture éclair. Fouillant du regard l’intérieur de la besace, gardien de la paix tomba immédiatement sur un objet qui attira son attention. Cette chose, là... La forme oblongue, les dimensions, la couleur. Tout collait. L’esprit du policier tourna à cent à l’heure. Incroyable de tomber là-dessus par hasard, comme cela. Pas de doute, c’était...
- Ca alors ! Un vibromasseur Bunny Waver ondulant !
- Tiens, on est tombé sur un connaisseur Adrien...
Le CRS replongea illico l’objet en latex rose dans le paquet, histoire de ne pas davantage attirer l’attention de ses collègues après son cri du cœur un tantinet compromettant, puis il feint d’ignorer l’intervention stridente de Crijstôf pour ne s’adresser qu’à Adrien :
- Dites-donc vous, qu’est-ce que vous transportez là-dedans au juste ?
- Dis-lui que ça le regarde pas, et c’est pour ton usage personnel !, proposa Crijstôf, hilare.
- Rien qui ne soit interdit par la loi monsieur l’agent !
- Vous êtes sûr ? On va peut-être vérifier tout ça ?
Crijstôf, accoudé à la barrière Vauban, lança entre deux rires :
- Demande-lui sur qui il veut les vérifier ! On va peut-être trouver une fliquette volontaire ?
La main sur une bonbonne glissée dans sa ceinture et la moustache froncée, le CRS demanda Adrien :
- Il est avec vous celui qui crie, là ? J’ai bien envie de lui demander ses papiers...
Adrien haussa les épaules. Pas de blague, la situation était déjà suffisamment compliquée.
- Oui, il est avec moi, c’est un ami. Et ses papiers sont en règle, il est fils de réfugié politique Tsergovien.
- Hey, arrête de lui raconter ma vie à ce playmobil !
- Dites-donc, vous ne pourriez pas lui dire de prendre un ton moins agressif quand il a affaire aux forces de l’ordre ? Et puis en passant, demandez lui de parler français ! On est encore en France après tout...
- Mais il parle français, c’est bien le problème, répondit Adrien, tendant les mains pour essayer de récupérer son sac. Crijstôf, pitié, tais-toi ! Bon, on peut y aller maintenant ?
Le CRS se gratta pensivement le cuir chevelu, de la main qui ne tenait pas le sac. Au moins il avait relâché ce qui ressemblait beaucoup à une bombe lacrymogène.
- Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous comptiez faire avec ce Bunny Wav... avec cette chose, là ! Le policier jeta un nouveau coup d’œil dans les entrailles du sac... Ni avec tout le reste ! Menottes recouvertes de moumoute rose... Casque de chantier... Pour un trip à la Village People je présume ? Canard vibrant... Cagoule en latex... Tiens, je n’avais jamais vu de boîte de préservatifs aussi grosse que celle-là ! Le lubrifiant qui va avec, de la corde pour le bondage... Oulà, y en facile cinq mètres là, non ?
- Non, dix mètres pour être précis !
- deux strings en bonbon, un autre canard vibrant...
- Oui, oui, dit Adrien d’une petite voix, ne sachant plus où se mettre. Je sais ce qu’il y a dans ce sac, ça va !
- Et encore, il a pas vu la ceinture vac U lock : elle est dans le fond...
Le CRS referma la fermeture éclair et se dirigea vers son supérieur.
- Bon allez, on va au poste !
- Quoi ?, s’insurgea Adrien, prenant à partie les passants aux alentours. Et pourquoi ? C’est pas interdit de transporter des canards vibrants dans la rue que je sache !
- En théorie non, mais dans un stade cela pourrait faire office de projectile.
Adrien hocha la tête de gauche à droite, abasourdi.
- Vous êtes malade ? S’adressant à une jeune fille qui attendait de franchir le barrage, juste derrière lui : Vous savez combien ça coûte un canard vibrant ? Pas question que je balance ça sur quelque Bordelais que ce soit !
- Surtout le canard sado-maso !
Le CRS recula encore d’un pas...
- Euh... Et les menottes ?
- C’est des fausses !, s’insurgea Adrien. Elles s’ouvrent quand on appuie sur le côté !
- Oui, à part quand la moumoute rose se coince dans le fermoir. Ca m’est arrivé une fois...
Regardant autour de lui, le CRS semblait un peu perdu et haussa le ton...
- Mais il va se taire, lui ?
Enervé pour de bon, Adrien ne lâchait pas l’affaire :
- Et si je veux me protéger moi, je n’ai pas le droit de transporter de préservatifs alors ? C’est ça votre boulot ? Tout faire pour que les gens attrapent le sida !
La demoiselle de la file d’attente opina du chef, choquée.
- Non, mais...
- Y a pas de « mais » !
Le CRS lâcha le sac, empoignant nerveusement sa gazeuse.
- Merde à la fin !
Cette fois le policier criait franchement, se contrôlant avec peine :
- Barrez-vous ! Circulez ! Avec vos godes et vos strings bonbon, et toute le reste. Qu’est-ce que j’en ai à foutre après tout ? Allez, dégagez-moi le plancher espèce de tarés !
Surpris, Adrien ramassa son sac tombé à terre.
- Ah bon ?...
- BARREZ-VOUS !
- C’est demandé si gentiment Adrien, je crois qu’on devrait suivre son conseil et filer !



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(Suite et fin de l'épisode en début de semaine prochaine)

« Dernière édition: 29 Septembre 2007 à 21:58:06 par Arno P-E » Journalisée

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