.Les bagarres de collégiens ça n’est pas joli-joli... Surtout quand elles ont lieu au beau milieu de la cour, au vu de tout le monde. Mais alors quand elles se déroulent devant des millions (des milliards ?) de paires d’yeux...
On pourrait se dire qu’en tant que Parisiens, nous n’avons aucune raison de nous intéresser à la rixe ayant eu lieu lors de la finale de la Coupe du Monde : Zidane n’a jamais porté les couleurs du Paris SG, même si au milieu des années 1990, quelques rumeurs ont annoncé sa venue, et on peut douter que Materazzi ne rejoigne jamais la Capitale. Pourtant, en y pensant, même le Paris Saint-Germain est concerné par cette affaire. Parce que tous les footballeurs sont confrontés à ce type d’évènements durant certaines rencontres. Et parce que chacun, même celui qui ne touche jamais un ballon de foot peut se mettre à la place des deux protagonistes. Qui n’a jamais provoqué un adversaire, sur un terrain ou ailleurs ? Qui n’a jamais été insulté ? Alors, à froid, en tant que supporter Rouge et Bleu, essayons d’analyser tout cela : si un tel incident se produisait au Parc, vaudrait-il mieux que le Parisien soit un Zidane, ou un Materazzi ? Si tant est que nous puissions choisir, de quel côté devrions-nous espérer devoir nous ranger ? Et derrière cette préférence entre deux hommes, n’y a-t-il pas un choix identitaire plus profond ?
Bienvenue en Poulidorie
Il faut toujours se méfier des idées reçues, et autres généralisations hâtives... Mais tout de même : la France semble s’obstiner à préférer les seconds aux premiers. Ne gagnez jamais le Tour de France et vous resterez dans le cœur de vos compatriotes bien plus longtemps que si vous en gagniez deux. Bienvenue au pays de Poulidor, et bonne nuit à Bernard Thévenet. Echouez en finale de coupe d’Europe à cause de poteaux (ou de pieds) carrés et trente ans plus tard on vous portera encore aux nues. Gagnez la Coupe des Coupes et on vous expliquera que votre adversaire en finale n’était pas si fort que cela, que c’est facile quand on a un gros budget et que ça n’est pas pareil que si ça avait été une autre coupe d’Europe, je vous ferai dire, d’abord.
En bref, non seulement les tricolores excellent dès qu’il s’agit de trouver des excuses pour consoler un perdant, mais en plus, ils semblent y prendre plaisir. Alors là, pensez-vous, quand un drame s’est joué en direct, l’occasion est trop belle pour ne pas s’en emparer : vive Zizou le second, et mort à Materazzi le vainqueur !
Le seul problème dans cette histoire, c’est qu’à force de toujours se satisfaire de la seconde place, à force même de s’entêter à dénigrer la première, il n’y a aucune raison pour que l’on s’améliore. Pourquoi se faire toujours plus mal, s’entraîner encore davantage afin de franchir le dernier obstacle, le plus ardu, puisque la deuxième marche est soit-disant la plus belle ? Grâce à cette mentalité, la France est restée pendant des décennies dans le monde du sport comme une fantastique nation de loosers. Or, à partir de la deuxième moitié des années 1980, un changement a semblé s’opérer dans les mentalités. On assumait la quête de la victoire pour la victoire. Gagner devenait enfin une vertu. Les Parisiens en Coupe d’Europe, les handballeurs en championnat du monde, puis les Bleus en foot resteront des exemples révélateurs de ce nouvel état d’esprit.
Mais là, les perdants de Berlin sont revenus en France, et comme si nous avions tous reculé de trente ans pour revenir aux plus belles heures stéphanoises, ils ont été accueillis en héros. Fêtés comme des vainqueurs. Sauf que la Coupe, elle, n’était pas là : pour quatre ans elle est à Rome, bien au chaud.
Il faudra se souvenir de tout cela...
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Alors quoi ? Fallait-il insulter les Bleus à leur sortie de l’aéroport ? Faut-il regretter que Materazzi n’ait été français, et Zidane italien ? Peut-être pas. Sans doute pas... Mais en revanche, il faudra se souvenir dans les prochaines compétitions internationales, quel que soit le sport, de l’exemple que la Nation vient de donner à ses espoirs :
donnez un coup de boule à un adversaire qui vous a provoqué, et quoi qu’il arrive, même si votre équipe venait à perdre, vous serez fêté en héros. Ce sont les faits. Ils laisseront des traces. Car le moins que l’on puisse dire c’est que l’on n’a pas créé de tabou sur le geste de Zidane. Le moins que l’on puisse dire, c’est que dans l’esprit d’un gars de douze ans, qui débute tout juste sa formation, l’exemple donné n’était peut-être pas le meilleur.
Maintenant, essayons de transposer cet évènement dans un cadre qui nous serait plus proche. Demandons-nous comment nous réagirions si Pauleta, pris d’un coup de sang, venait à agresser un défenseur adverse, en pleine finale de Ligue des Champions, ou à la dernière journée d’un championnat de France que nous pourrions emporter ? Comment réagirions-nous si nous perdions un titre majeur après ce genre d’évènement ?
Dans ce cas bien précis, j’en voudrais énormément à notre serial buteur. J’aime trop la victoire, elle m’est trop précieuse pour que je puisse accepter avec le sourire des erreurs de ce genre. Car il faut bien appeler les choses par leur nom : de la part de Zidane, ou dans notre hypothèse de travail, de la part d’un Pauleta, réagir ainsi serait une terrible erreur. Comment peut-on comprendre qu’un joueur majeur, avec une telle expérience, puisse se laisser prendre dans un piège aussi grossier ? Comment accepter qu’un professionnel ayant déjà livré tant de combats pour son équipe réagisse si égoïstement et mette tout le reste du groupe en porte-à-faux par sa seule faute ?
La victoire, la victoire, la victoire, toujours !
Décidément, j’aurais bien du mal à pardonner à un Parisien, qui plus est un joueur expérimenté, un tel comportement. La victoire est trop belle. Elle seule laisse des traces, elle seule s’inscrit dans le palmarès, dans l’histoire. Être premier c’est être un gagneur, être second c’est n’être personne. Oui, comme toujours, le supporter parisien que je suis en revient à Juan-Pablo Sorin : un seul objectif, la Victoria !
La victoire...
Mais à quel prix ? Faut-il tout brader pour elle ? Faut-il tout accepter ? Dans ce cas, on pourrait aussi se choisir nos arbitres, il paraît que ça se fait, ici et ailleurs. Nous pourrions aussi marquer des buts de la main et nous en dédouaner dans la seconde, ou encore nous doper, pourquoi pas après tout ? Si c’est pour gagner, cela vaut sans doute le coup... Allons pensez-vous, une petite insulte de rien du tout...
Non. Non, décidément je n’y arrive pas. Je sais qu’il faudrait se dépassionner, je sais qu’il faut aussi savoir rester froid, et calculateur si l’on veut gagner. J’essaye de m’imprégner de cette mentalité, car c’est elle qui mène aux titres. L’Histoire même le montre. Mais que voulez-vous, moi aussi je suis né dans le pays de Poulidor, et je préfèrerai toujours Achille le sanguin, Achille le tueur d’hommes aux pieds agiles à Ulysse le rusé. Alors tant pis.
Et la passion alors ?
Je veux gagner, certes. Je veux voir le Paris Saint-Germain au plus haut. Mais pas n’importe comment. Oh, je ne suis pas contre une petite provocation de temps en temps, une petite goutte de Materazzi n’est pas toujours pour me déplaire. S’il jouait à Paris, je serai le premier à m’offusquer et à traiter d’assassin celui qui réagirait à ses attaques. J’aime les joueurs roublards, un peu vicieux, comme peuvent l’être un Yepes ou même un Pauleta, de temps en temps. Mais je leur préfèrerai toujours un Rothen qui se relève après un énième tacle par derrière et va mettre un bon coup de pied à son lâche agresseur. Bien sûr j’hurle de dépit sur le coup, et traite l’impulsif de sombre crétin. Mais au fond, c’est lui que j’aime. On ne se refait pas. J’aime la part de folie qui accompagne ces gestes inconsidérés. Cela me donne le frisson. Voir Deco cisailler Heitinga m’apporte plus de plaisir que de subir le visionnage de toute une saison de beau jeu à la nantaise, pourtant certifié "100% merveilleux" par Téléfoot.
Le football n’est passionnant que parce qu’il pousse chacun d’entre nous dans ses retranchements. Si c’est pour voir jouer des robots... En tribune, on crie jusqu’à en avoir la tête qui tourne, et un voile noir devant les yeux, on ne reste pas assis et silencieux comme des glands. Sur le banc, Scolari s’agite, Lippi bouillonne, Luis danse, tant qu’ils le peuvent. Qui peut préférer un mannequin aux gros sourcils, immobile dans sa posture rigide, tête haute, si savamment étudiée. Et sur le terrain, Zidane se retourne et fait face à Materrazi. Et puis merde !
Oui c’est mal. Oui ça n’était pas la chose à faire. Même pas pour des raisons moralisatrices, que les démagos-poujadistes du 13 heures n’ont pas manqué de soulever et qui en viennent à me soulever l'estomac, mais juste pour des raisons sportives : il faut le marteler, ça n’était pas à faire, bien sûr ! Cela laissait les autres se débrouiller seuls, déconcentrés, forcément. Mais de temps en temps, ça fait du bien.
Je ne peux pas affirmer avec certitude que je n’aurais pas fait la même chose, si j’avais eu la chance d’être dans les même circonstances. Je ne peux pas affirmer que je n’aurai pas pris du plaisir à lâcher ce coup de tête, en arrêtant de penser juste quelques secondes aux conséquences... Juste un instant, tout lâcher. Et surtout, je ne peux pas affirmer qu’entre insultes et coup de boule, je ne serais pas mieux dans les baskets de Zidane que dans celle de Materazzi et sa coupe du monde. Alors de quel droit juger ce geste ?
Tant pis pour l’éthique, tant pis pour le palmarès, tant pis pour les bien-pensants et tous les chantres de la fin qui justifie tous les moyens. Même les plus vils. Les hommes me font plus rêver que les machines. Même si ça doit nous coûter des titres, je préfèrerai toujours les artistes, les guerriers, et les passionnés aux calculateurs, aux grapilleurs de points, aux trésoriers électeurs d’arbitres. Décidément, je préfère Achille à Ulysse, même si au bout de l’histoire, seul le rusé rentrera chez lui. Je préfère le Paris SG et sa folie à l’OL et ses cinq titres, insipides et soporifiques. Qu’est-ce que je vous disais : on ne se refait pas !
Arno P-E