Sale temps pour un Touboul...Une page entière quotidiennement remplie par un bon gros tableau de rumeurs de transferts, c’est toujours ça de pris. Une petite heure d’émission de radio occupée rien que par les possibles mouvements de joueurs, l’affaire est dans le sac. Des articles Internet exclusivement consacrés aux possibles départs et arrivées, c’est fait... Mais alors, le mercato serait-il du pain béni pour les journalistes ? Certainement pas !
Ah ça, quand on se contente d’ouvrir son petit journal dans le métro, ou d’allumer en catimini son poste de radio à 16 h au bureau, c’est sûr qu’on ne la gère pas trop difficilement la période des transferts ! Seulement ces rubriques, ces émissions et ces pages web, il faut bien que quelqu’un se charge de les alimenter. Vous y aviez pensé, vous, à ceux qui partent jour après jour à la pêche aux infos transferts ? Tous ces journalistes d’investigation qui, crayon au poing et téléphone portable à l’oreille suent sang et eau pour vous informer coûte que coûte ? Ceux qui oeuvrent malgré les pressions, malgré la violence de ce milieu sans pitié, faisant fi du risque de se retrouver en photo sur une affiche de Reporters Sans Frontière dénonçant les violences contre les journalistes ? Eh bien non...
Vous, bande d’égoïstes, vous vous contentez de parcourir la page mercato du
Parisien d’un oeil distrait, avant de grogner votre égoïste insatisfaction parce que Roche et Villeneuve n’ont toujours pas réussi à faire signer Kabouminski, qui pourtant comme milieu droit est trop fort. Mais le travail en amont, le labeur du professionnel de l’info, ça, vous vous en fichez ! En plus si ça se trouve vous ne payez même pas pour la voir la rubrique transferts, parce que vous allez la consulter gratuitement sur le net... Bravo pour la reconnaissance : elle est belle la France du football, tiens !
Mais comment dénicher des infos si le coach il ne veut rien vous dire ?
Le temps est venu de rendre hommage à ces travailleurs de l’ombre, tous ces hommes et femmes sans lesquels il n’y aurait aucune rumeur concernant le marché des transferts. Il est temps de montrer à la face du monde comme elle est ardue, la tâche qui consiste à alimenter la rubrique mercato de
L’Equipe.
On n’imagine pas les corvées qu’il faut effectuer, des mois durant, avant de commettre enfin un article sur l’hypothétique venue de Thuram à Paris ! Tout d’abord, on commence par enquêter. Il s’agit de fureter dans tous les coins, de sonder LA source d’informations la plus originale possible, le gars auquel personne ne songerait, mais qui détient moult informations. Bref, d’effectuer une pure enquête d’investigation.
Du coup, pour commencer, le journaliste prend son téléphone... et il appelle Le Guen. Histoire de lui demander comme ça, mine de rien, dans la conversation, qui il souhaiterait recruter. Mais attention à la ruse : il fait ça avec une discrétion maximale, digne de celle de l’homme invisible, voire d’un Malouda en Suisse. Le but : amener Le Guen à parler mercato sans qu’il ne s’en rende compte... L’embrouille de coach, c’est un art !
Le souci c’est que Le Guen n’est en règle générale déjà guère prolixe. De plus, et ça va vous étonner, il détecte avec une déconcertante facilité toute les tentatives de lui tirer les vers du nez concernant les transferts. Même les plus habiles ! Et pourtant des tentatives habiles, il y en a : oui, euh sinon, en milieu droit, Kabouminski, tout ça, je veux dire en tant que connaisseur quoi, vous le trouvez comment, vous ? Hein ? Imaginez (au hasard hein), à Paris, Kabouminski ? Vous je veux ça vous irait à vous ? A Paris ? Le Kabouminski ? Allo ? Allo ?...
Pas moyen de lui tirer la moindre réponse à ce Le Guen. Gasp. Le Breton est rusé.
Comment ça, toi aussi tu veux aller en Angleterre ?
Alors pas découragés, les journalistes décident généralement ensuite de se tourner vers les joueurs. Histoire de tâter le terrain, savoir ce qui les intéresserait ou pas, quelles destinations ils souhaiteraient privilégier... Mais là encore, le résultat se révèle souvent un poil décevant. Non pas que les joueurs rechignent à s’exprimer : au contraire, ils sont comme tout le monde, toujours ravis d’évoquer leur nombril, leurs désirs, leurs plans de carrière. Du coup, ils parlent... Mais voilà, ils racontent tous la même chose !
En gros, il y a quatre phases pour les joueurs de L1 (oui, parce que le journaliste spécialisé dans les transferts privilégie tout de même les interviews de joueurs de L1... ce n’est pas une question de goût, c’est juste qu’à l’étranger les autres joueurs ne parlent souvent que l’étranger, c’est ballot, alors que en L1 au moins ils parlent le français, ce qui est tout de même plus pratique à comprendre pour un journaliste, nous en conviendrons tous).
Phase numéro 1 chez le footballeur pro : le souhait de base. Il concerne les chanceux, les joueurs doués à qui tout sourit, bref, ceux qui savent faire une passe (et Dieu sait qu’en L1, ça se fait rare). Ceux-là ont les moyens de leurs ambitions, et rêvent à haute voix de ce que
Canal + leur a dit que c’était ça le meilleur championnat du monde : leur kiffe, c’est le championnat anglais.
D’ailleurs ces joueurs ont des touches avec l’équipe phare de Premier League : Portsmouborroughlton, qui est pile poil le club de leur cœur qui les a fait rêver quand ils étaient petits, du coup avouez que ça, ça tombe bien alors... Précisons toutefois que l’argent n’a rien à voir là-dedans, non-non-non, c’est juste que voilà, les fans de Tottenleedscounty les ont toujours impressionnés, alors obligé, ils souhaitent rejoindre le championnat anglais. Tous.
Puis, quand vous passez le micro au gars assis juste à côté dans le vestiaire, il vous sort exactement la même, en rajoutant -au cas où- que le championnat espagnol l’intéresserait aussi, voire le championnat italien ou même allemand, du moment qu’il y a un gros contr... euh... de la passion à la clef, c’est l’essentiel.
Passons maintenant à la
seconde phase : les footballeurs fonctionnaires. Eux ont déjà été plusieurs fois retransmis sur
Canal +, donc on a tous pu voir qu’ils ne savaient pas faire de passe correcte, et du coup pour Birmingbledon United, c’est râpé. Depuis, ils se sont résolus à aller à Lyon, mais ils n’osent pas trop le dire à la presse. C’est qu’en L1, ça n’est pas vraiment bien vu. En fait ils ont un peu peur de trop s’éloigner de maman, et puis même si on ne joue jamais, même s’il n’y a aucune passion et même s’il faut supporter la vue de Junhinho tout nu dans le vestiaire, Lyon est quand même le seul club de France où l’on est assuré de gagner plein de fr... plein de titres. Et ça c’est important, les titres (surtout ceux au porteur d’ailleurs).
Catégorie 3 : les joueurs inconscients du danger, ceux qui n’ont plus le choix parce qu’ils ont déjà fait banquette à Lyon deux saisons, ou encore ceux qui ont une envie irrépressible de passer à la télévision, quoi qu’il en coûte. Pour eux, deux réponses possibles en interview : ils veulent soit Paris, soit Marseille... voire ils hésitent entre les deux. Mais là on est face à des cas très rares de déficience cognitive profonde, type syndrome de Pédretti.
Pas très originale, l’envie de jouer à Paris-qui-est-d’ailleurs-le-club-de-mon-cœur (en un seul mot) concerne à peu près 127 joueurs de L1. Quand vous tendez le micro et que l’on vous sort ça, vous pouvez déjà vous préparer à vous faire engueuler par le rédac chef. Disons que l’on se retrouve assez loin de la case « scoop »...
Dernière phase pour les interviewés : les désespérés de la vie. Ceux qui savent qu’en l’état la Premier League faut pas trop y compter, que Lyon ne voudra même pas d’eux pour cirer le banc de l’équipe B les semaines où il y a championnat plus coupe d’Europe plus tournée en Corée, mais qui ont trop peur du PSG et de l’OM, et qui se disent que finalement, arrière droit à Nancy ça le ferait bien. Alors évidemment, vu de Paris, partir du Mans pour aller à Nancy nous on ne voit pas trop l’intérêt : ça fait des frais de déménagement pour pas changer grand-chose, mais bon... après tout si ça les amuse !
Quoiqu’il en soit, nos journalistes se retrouvent avec des interviews de footballeurs qui tous rêvent exactement du même parcours... ce qui cela ne les avance guère dans l’élaboration de leur article qu’il faudra rendre pour avant-hier.
Nos héros des temps modernes sauront-ils pondre leur rubrique mercato en dépit des obstacles qui s'accumulent sur leur route ? Oui : car entre le coup de fil hyper malin à l’agent, l'interview de l'entourage du joueur, ou le récit d'invention, les journalistes sportifs demeurent pleins de ressources ! Ouf, sauvés...
(à suivre...)